Dans un monde où l’émotion domine la raison et où la réflexion a de moins en moins sa place, emportée par le triomphe de l’immédiateté, nombreux sommes-nous à nous demander comment réagir.
Lorsque des blocs de pierre se sont détachés de la montagne et bloquent une route, nous savons tous qu’il est inutile de savoir quel chemin prendre avant d’avoir fait sauter les blocs de pierre qui l’obstruent. Pourtant nous avons du mal à prendre conscience que deux énormes blocs nous empêchent de voir le chemin que nous devons choisir et nous poussent soit à fantasmer une route, fruit de notre imagination, soit à attendre que le ciel dégage la route, ce qu’il fait rarement tout seul.
Il faut d’abord faire sauter ces deux blocs.
Le premier bloc est l’ochlocratie, le gouvernement par la foule, qui n’a rien à voir avec la démocratie, le gouvernement par le peuple. La foule est émotive, le peuple est raisonnable. Le peuple est responsable, la foule ne s’intéresse pas aux conséquences et ne vit que dans l’immédiateté. Le pouvoir aujourd’hui appartient à un triumvirat politique, universitaire et médiatique qui s’est unanimement couché devant la foule et qui a la lâcheté et l’audace de l’appeler le peuple. L’université accueille n’importe qui, elle ne sait pas quoi faire de cette foule et elle n’en fait rien, si ce n’est lui transmettre un peu de son autosatisfaction en se couchant devant elle et en lui donnant des médailles qui ne servent à rien. Les Politiques ont décrété que l’ochlocratie était la démocratie en instituant le suffrage universel qui nie la vérité première qu’il n’y a pas de responsabilité sans risque. Les médias ne pensent qu’à leurs annonceurs et aux politiques qui les font bien vivre par leurs publicités et leurs subventions. Tous ont un besoin de nombre et en aucun cas de qualité. Depuis 50 ans les trois compères baissent la qualité pour avoir du nombre, et comme le peuple résiste et a tendance à les abandonner, ils baissent encore chaque année davantage la qualité pour avoir du monde. L’ochlocratie règne tellement que le peuple a même dû se déguiser en foule avec gilets jaunes pour se faire remarquer. L’ochlocratie n’ayant comme principes que l’émotion et l’immédiateté, elle s’achète très facilement. C’est ce que fait le triumvirat avec une belle conscience professionnelle.
Ce premier bloc est tellement stupide qu’il devrait normalement exploser tout seul mais c’est là où le second bloc intervient pour lui donner du répit.
Le second bloc, né de l’abandon du lien en 1971 entre les monnaies et l’or, est de faire croire à la foule qu’une corne d’abondance nous est née, que la monnaie n’a plus l’énergie d’un ressort comprimé par les réussites passées du peuple qui utilise cette monnaie, mais que son énergie lui vient des réussites imaginaires futures dont la quantité est évidemment sans limites puisque fantasmée. Le peuple sait très bien qu’on se moque de lui mais la foule est ravie par cette corne d’abondance imaginaire, par cette monnaie hélicoptère qu’elle n’arrête pas d’attendre. Elle lui permet de se scandaliser de ne pas recevoir sa juste part. On a appelé cette corne d’abondance un produit, le PIB, on l’a chiffrée par toutes nos dépenses passées et on a convaincu la foule que ces dépenses passées étaient sa richesse future. Le triumvirat y a tellement intérêt qu’il utilise la sémantique pour mieux convaincre. Dire que le PIB est un produit ne suffit pas, il va parler de la valeur ajoutée des entreprises alors qu’elles ne produisent que dans le but de faire circuler l’argent et de répartir l’argent de leurs clients entre leurs salariés, leurs fournisseurs, leurs actionnaires et l’État. On voit mal où se cache la valeur ajoutée. L’argent ne vient évidemment que de l’emprunt, que de la fausse monnaie légale que fabriquent les banques sous l’œil bienveillant du triumvirat. Les banques savent que les grands emprunteurs ne remboursent leurs emprunts qu’en empruntant davantage. Elles ont créé cet argent sans aucune bonne raison et elles se contentent de bien vivre sur les intérêts qu’elles touchent effectivement en attendant l’explosion.
L’ochlocratie ne tient que par la fausse monnaie légale qui ne tient que par l’ochlocratie. Ceux qui disent vouloir agir se divisent en deux groupes. Ceux qui vivent de l’ochlocratie et de la fausse monnaie et qui s’agitent pour inventer de fausses solutions à de faux problèmes ; et ceux très minoritaires qui savent qu’un problème doit être étudié avant d’être résolu et que rien ne peut être sérieusement étudié avant d’avoir fait sauter les deux blocs qui paralysent tout en faussant nos regards.
Bonjour
Merci pour votre texte.
Une précision : « en instituant le suffrage universel qui nie la vérité première qu’il n’y a pas de responsabilité sans risque » ; ce propos me semble passer d’un plan à un autre sans avoir marqué la station requise dès que l’on parle de suffrage : s’agit-il d’élire ? ou bien de voter les lois? Il semble naturel que le peuple se désintéresse de la chose commune, à partir du moment où il n’a pas son mot à redire à ses représentants.
Le reste : la décorrélation létale du pouvoir et de la responsabilité, en est une conséquence.
Il s’agit d’après moi, quel que soit le niveau et en démocratie, de ne donner la parole qu’à tous ceux qui sont à la fois libres, compétents et engagés.
L’avis de quelqu’un qui n’est pas libre de ses opinions, qui ne connait rien au sujet débattu ou qui s’en moque éperdument, ne contribue pas à la démocratie mais à l’ochlocratie.
Il y a des permis de conduire, de chasser, de pêcher, il y en a pour voler et pour naviguer, il pourrait y en avoir un pour voter.
Cela est intéressant, mais vous semblez mettre la charrue avant les boeufs : n’est-ce pas à la discussion d’établir qui est compétent, engagé et libre?
Si on ne peut l’établir a priori, il faudra risquer de donner la parole à tous, pour qu’ils fassent la preuve de tout cela.
Autre problème : pourquoi ne pas envisager que le fait que ceux qui écrivent les lois et ceux qui les votent n’étant pas les mêmes, cela serait une garantie à l’indépendance…?
Il va de soi que le minimum à attendre des votants est qu’ils aient suivi les débats… A moins qu’on puisse voter sur des points non techniques, qui ne demandent aucune connaissances, mais juste du bon sens…
Il n’y a pas de démocratie si les électeurs ne sont pas libres, compétents et engagés. A Athènes ils devaient être producteurs d’huile ou de blé. Aujourd’hui seul le permis de voter peut nous faire quitter l’ochlocratie pour la démocratie.
Que faire, dans un monde dominé par ses réactions émotionnelles?
Je vois une solution à l’aune de mes modestes expériences: apprendre à pratiquer l’empathie (au sens de Carl Rogers), c’est-à-dire être capable de décrire ce que vit celui qui réagit automatiquement à ses sentiments (ou ressentis) désagréables.
Nuls conseils, nulles explications ne peuvent précéder la reconnaissance de ce qui est vivant chez celui qui exprime ses sentiments par des émotions virulentes (voire qui n’exprime pas ses sentiments)