Le verbe valeo en latin se traduit par être fort, vigoureux, puissant. Nous donnons de la valeur à ce que nous reconnaissons être fort, vigoureux, puissant. La valeur est le regard que nous portons sur ce que nous voulons estimer et elle varie suivant les individus, les lieux et les moments. Ce sont les regards communs sur des biens, des services ou des idées qui constituent les groupes et deviennent leurs liens sociaux, leurs raisons d’être.
Tout groupe est généré par des regards communs sur ce que le groupe va considérer comme vrai, comme beau ou comme bon.
Les communautarismes actuels comme le mondialisme sont les deux réponses faciles mais trop courtes à l’absence actuelle de groupe cohérent. Les uns se replient sur la communauté qui partage clairement et concrètement leurs valeurs de vrai, de beau et de bien, en utilisant tous les avantages du groupe plus important appelé société sans en accepter les devoirs. L’autre se réfugie dans l’intellectualisme de la fuite en avant vers un monde utopique qui partagerait unanimement les mêmes valeurs de vrai, de beau et de bien que ses adeptes ne savent même plus clairement définir pour eux-mêmes. Ces deux excès sans avenir, surfent sur la peur et la violence pour l’un et sur l’uniformisation et la financiarisation de tout pour l’autre. Le communautarisme voudrait nous faire revivre le premier millénaire et le mondialisme nous entraine vers un monde de consommation uniformisée où les peuples ayant les mêmes désirs s’entretueront pour avoir ce que la Terre ne peut fournir à tous.
Mais le regard individuel positif peut admirer ou désirer. Il est passif en admirant, il est actif en désirant. S’il désire il va devoir se confronter à un autre regard individuel et au regard collectif. Il lui faudra renoncer, convaincre ou se laisser convaincre. L’autre regard individuel est celui du vendeur, le regard collectif est la monnaie du groupe et l’harmonie difficile entre ces trois regards s’appelle le prix.
Une erreur fréquente est de penser qu’un prix peut ne se définir que par la liberté d’un vendeur et d’un acheteur. Cette idée n’est vraie que si le prix n’est pas exprimé en monnaie. Etant exprimé en monnaie, on ne peut parler de prix sans comprendre l’origine de la monnaie et la nécessité du groupe pour la regarder collectivement comme vraie, belle et bonne, bref, pour qu’elle soit une vraie monnaie.
Des trois fonctions régaliennes, sécurité extérieure (l’armée), sécurité intérieure (loi, police, justice) et représentation du groupe dans l’économie par la gestion de la monnaie dans un but de sécurité intérieure et extérieure, la troisième est la moins claire par les hésitations de la science économique qui n’a jamais clarifié son regard sur la fonction régalienne double de création et d’utilisation de la monnaie.
J’ai rappelé en février dernier dans l’article « Nous sommes tous responsables » l’origine de la monnaie et comment la monnaie est probablement apparue. Cette invention aussi géniale que la roue et qui est apparue sur tous les continents, donne à chacun une quantité d’une matière recherchée, rare, pérenne, divisible et transportable qui correspond pour chacun à son apport passé au groupe. La cause de la monnaie est de se souvenir (moneo est la forme latine causative de la racine grecque men de la mémoire). La monnaie empêche les tire-au-flanc par l’obligation qu’ils ont de reconstituer leurs stocks de monnaie.
La monnaie est devenue l’énergie du groupe, le stockage des énergies individuelles et le regard collectif reconnu par tous d’une richesse objective à l’intérieur du groupe.
Mais si la monnaie répond bien au besoin de vérifier la réalité du travail de tous, le pouvoir est confronté à deux questions quantitatives fort complexes : quelle quantité de monnaie faut-il insérer ? et quels vont être les prix des biens et des services ?
Au niveau de la quantité de monnaie créée il ne faut pas oublier que la monnaie n’est que l’énergie du groupe. Si l’État en augmente la quantité, il n’a pas le pouvoir d’augmenter pour autant l’énergie du groupe et chaque élément monétaire perd simplement de sa capacité énergétique. C’est la dévaluation et son corollaire la hausse des prix. Mais a contrario si l’État ne fait pas suivre par la quantité de monnaie l’augmentation de l’énergie du groupe, la monnaie perd de son intérêt, les échanges matériels se grippent et l’on ouvre la porte au désastre du prêt à intérêt. Dans mon article de décembre 2013 « Le prêt à intérêt » je rappelais que c’était un esclavage dans le temps quand le mondialisme est un esclavagé dans l’espace.
Au niveau de l’utilisation de la monnaie, on aborde le sujet très difficile du prix.
Le prix en monnaie est la concordance de trois regards, celui du vendeur, celui de l’acheteur et celui du groupe. L’erreur du libéralisme est d’avoir cru que les regards du vendeur et de l’acheteur suffisaient. Il n’en est rien car le regard collectif vérifie que l’énergie collective échangée par le changement de mains de la monnaie, est considérée par le groupe comme juste (mariage du vrai et du bien). Le rôle du regard collectif est de vérifier que la monnaie ne fait pas passer l’ensemble du groupe de l’échange des êtres qui prévalait avant l’introduction de la monnaie, à un simple échange des avoirs qui casserait l’harmonie indispensable entre l’individuel, le collectif et le sacré.
Si le prix est trop élevé l’enrichissement du vendeur se fait par une confiscation d’une partie de l’énergie humaine stockée du groupe. Si cette monnaie escamotée n’est pas remplacée, les échanges vont se gripper et la monnaie ne jouera plus son rôle fondamental. Si elle est remplacée par une nouvelle introduction de monnaie sans création d’énergie individuelle, ce sera une dévaluation c’est-à-dire un paiement involontaire par tous de l’enrichissement d’un seul, une sorte d’impôt privé. C’est le cas par exemple des retraites chapeaux ou des intérêts des prêts bancaires.
Si le prix est trop bas la dévalorisation du travail effectué en amont du vendeur, cassera l’harmonie sociale.
On voit la difficulté qu’a l’État à gérer à la fois la quantité et l’utilisation de la monnaie qu’il crée (ou qu’il créera dès que nous serons sortis de l’aspirateur de la fausse Europe). Ceux qui veulent le diriger doivent se souvenir que pendant les Trente Glorieuses l’État contrôlait tous les prix, tous les loyers.
L’État doit, par le regard collectif, moraliser les regards individuels c’est-à-dire réconcilier l’individuel et le collectif. Pour ce faire il n’a pour moi pas d’autres solutions que de supprimer les prêts, les faire lui-même, ou fixer les prix.