Qu’est-ce que la sagesse ?

Dans ce monde si perdu que chacun propose sa solution sans y croire, il y a un mot reconnu par tous comme utile au lendemain, c’est le mot sagesse. L’aimer c’est en grec faire de la philosophie. La difficulté est de savoir ce que l’on y met.

Ne serait-ce pas l’harmonie entre trois voies complémentaires que nous avons du mal à emprunter et à concilier ?

– Une voie personnelle que l’on peut appeler la voie initiatique. Elle est renaître de soi-même après s’être nettoyé de ce qui n’est pas soi. Mahomet dit dans un hadith célèbre « Mourez avant de mourir »; le Talmud dit qu’un converti est comme un nouveau-né ; Jésus dit à Nicodème que pour être heureux, pour vivre hors le temps, pour avoir « la vie éternelle » comme dit Jean, il faut qu’il naisse de nouveau. Toutes les initiations font mourir pour renaître. Le faire n’est pas facile et le calvaire du Christ est pour cela exemplaire. Louis-Vincent Thomas nous rappelait dans La mort africaine qu’ « il y a 3 moments importants dans la vie : la naissance, l’initiation et la mort. Des trois le plus important est sans conteste le second qui donne sens au premier et enlève tout pouvoir destructeur au troisième ».

– Une voie horizontale qui est la voie politique, celle du rapport aux autres et à la cité. C’est probablement la voie la plus négligée actuellement même si elle est la plus courtisée. Tous les groupes se lézardent, les référents s’estompent et les quotidiens s’en ressentent en partant dans tous les sens pour aboutir souvent à l’autodestruction. La peur du lendemain se traduit en mensonges et la tentation de se satisfaire de l’apparence est omniprésente. La difficulté est de ne pas se contenter de superposer l’absence de groupe, l’individualisme, et le groupe général, l’humanité pour laquelle on ne nous propose guère que de nous nourrir, de trier nos poubelles et de faire du vélo. L’honneur de la voie politique est de se souvenir que polis, la cité, avait sa limite, que cette limite était aussi essentielle que difficile à cerner. La facilité de refuser les limites ou de vouloir les abolir se retourne toujours contre ceux qui préfèrent le rêve à la réalité.

– Une voie verticale que l’on peut appeler la voie hermétique qui regroupe d’une façon très composite les gnoses, les mystiques, les religions et le logos d’Héraclite. Elle est l’intelligence et le mystère, la quête éternelle de la bonne gestion de nos contradictions. Elle commence par l’humilité, l’accueil du fait que l’humus, fruit de morts et source de vies, a la même racine que l’homme ; l’humilité de sortir du « yes we can » pour admettre le « we cannot » en reconnaissant que nous ne sommes pas des dieux. Elle se poursuit par le travail du socratique « Connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux ». Elle s’épanouit dans la tradition qui est la transmission par le dire. La voie verticale renaît après un siècle d’essoufflement.

Il suffit d’approcher la sagesse par cette harmonie pour prendre conscience de la distance qui nous en sépare. Mais si nous voulons nous en rapprocher, il est nécessaire, là comme ailleurs, de bien poser le problème pour envisager sa solution.

Sémantique et homosexualité

Dans l’étude des mots la sémantique est le signifié quand la syntaxe est le signifiant.

Dans le débat actuel très envahissant sur l’homosexualité, Daniel Godard, professeur de lettres classiques, nous rappelle ce que signifie le mot couple et le mot paire.

Le mot couple nécessite une différence car sans elle, il s’agit d’une paire. Nous ne disons pas un couple de ciseaux ou un couple de lunettes mais une paire de ciseaux et une paire de lunettes. C’était une paire de bœufs ou de chevaux qui tirait l’attelage. Deux jumeaux forment une paire de jumeaux.

Dans un jeu de cartes personne ne songe à parler de couple de dix ou de couple d’as. Ce sont des paires comme les paires de rois, de dames ou de valets.

Contrairement à la paire, le couple est productif.

Le même verbe marier signifiera demain suivant les cas accoupler ou apparier.

Laissons aux politiques le soin de savoir si cela pose ou non un problème.

La spiritualité défaillante : le Logos absent

Cicéron précise dans « L’orateur » que « les règles de l’art oratoire peuvent se réduire à trois points : prouver la vérité de l’opinion qu’on veut faire prévaloir, se concilier la bienveillance des auditeurs, faire naître en eux les impressions qui conviennent à l’intérêt de la cause ». Il y reprend les trois notions du logos, de l’éthos et  du pathos. L’éthos est la qualité de l’orateur, le pathos la sensibilité du public, et le logos la raison la plus objective possible.

L’étymologie nous apprend par ailleurs que si la transmission veut envoyer au travers, la tradition fait la même chose par le dire, par la parole. La tradition, la trans-diction, c’est le dire qui transperce. Pour passer au travers, il a été nettoyé de l’éthos qui ne vient que de la qualité de l’émetteur et du pathos qui ne vient que de la réceptivité du public. Le dire devient le logos, la parole raisonnée.

S’il y a une quasi-unanimité à donner au logos la définition de parole raisonnée et raisonnable, il est moins simple de savoir ce qu’est cette parole.

L’approche la plus fréquente en est celle du Prologue de l’Evangile de Jean. Certains disent qu’il a été écrit en hébreu voire en araméen à cause de certaines tournures de phrase. Ce qui est sûr c’est que l’écrit le plus ancien que nous en avons, a été trouvé en Egypte, date de l’an 115 et est écrit en grec. C’est ce texte grec que nous devons comprendre :

ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος

En archè èn o logos, kai o logos èn pros ton théon, kai théos èn o logos

Il a été traduit en latin au début du Vème siècle par Saint Jérôme, Père de l’Eglise :

In principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbum.

Il fut traduit en français pour la première fois il y a moins de deux siècles en 1864 par un chanoine de la cathédrale d’Amiens qui a écrit :

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.

Il a ensuite été repris en 1910 par les protestants de Genève qui ont écrit :

Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.

Deux remarques paraissent essentielles dans le prologue de Jean :

Lorsque Jean dit « le Logos (ou le Verbe) était auprès de Dieu », il utilise pour Dieu le terme “ton théon” avec l’article masculin singulier ‘ton’ qui souligne l’unicité de Dieu, du seul qui dépasse notre entendement.

En revanche lorsqu’il dit, à la fin du verset, « et le Logos (ou le Verbe) était Dieu », alors il utilise le terme “théos” sans aucun article. Or chez les Grecs, on appelait théos tous les êtres parvenus au plus haut degré de spiritualité. Les “Vers d’Or” qui reprennent la pensée Pythagoricienne nous disent  que nous pouvons tous devenir des théos. « Applique ton jugement à tout ce qui peut servir à purifier et à libérer ton âme. Réfléchis sur chaque chose, en prenant pour cocher l’excellente Intelligence d’en haut. Et si tu y parviens, après avoir abandonné ton corps, dans le libre éther, tu seras dieu immortel, incorruptible, et à jamais affranchi de la mort.» Certaines traductions plus littérales disent même : « Si tu négliges ton corps pour t’envoler jusqu’aux hauteurs libres de l’éther, tu seras un dieu immortel, incorruptible et tu cesseras d’être exposé à la mort».

Jean le mentionne également dans son Evangile (10-33) lorsqu’il relate les paroles du Christ qui disait : «N’est-il pas écrit dans votre loi : vous êtes des dieux ? Votre loi répute dieux, ceux qui vivent de la parole de Dieu ». Déjà le roi David écrivait dans le psaume 82 : « Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ».

Il y a donc pour Jean 3 niveaux de déité différents: le Dieu suprême, ton théon, les hommes de haute spiritualité, ce que le bouddhisme appelle les éveillés, théos, et le logos, le Christ, un theos très particulier, l’intercesseur entre les hommes et leur créateur car il assume la contradiction suprême d’être totalement homme et totalement Dieu. Il assume cette contradiction en refusant dans le désert par trois fois de s’en départir à l’issue de son baptême dans le Jourdain. Il refuse par deux fois d’abandonner la faiblesse de son humanité et en final de renoncer à sa déité.  C’est ce qui le rapproche de nous car il est encore plus contradictoire que chacun d’entre nous et son exemple en devient par cela enrichissant et même éventuellement exemplaire.

Une seconde remarque qui est essentielle est l’observation du chiasme avec lequel est construit le prologue de Jean. Un chiasme est une figure de rhétorique où une discrète symétrie éclaire le centre qui est le sommet, un peu comme des pierres précieuses de moindre beauté sont symétriquement placée sur une bague pour exalter, au sens propre de faire ressortir pour l’élever, la pierre centrale de grande valeur. La symétrie entre la lecture normale du prologue et sa lecture en remontant à partir de la fin, est impressionnante et met en exergue son centre.

Voici le schéma de lecture avec les versets se correspondant deux à deux :

v. 1-2 Le Logos et Dieu              v. 18 Le fils et le Père

v.3 Tout fut par lui                       v. 17 La grâce et la vérité par lui

v. 4-5 La lumière refusée            v. 16 La plénitude reçue

v. 6-8 Jean, baptiste et témoin    v. 15 Jean, baptiste et témoin

v.9-11 Le logos vient                    v. 14 Le logos fait chair

.                             v. 12-13 À ceux qui l’ont reçu…

Ainsi, l’idée centrale ne serait pas « le logos s’est fait chair et a habité parmi nous », mais : « À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux-là qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni du désir de la chair, ni du désir de l’homme, mais de Dieu. »

Les versets 12 et 13 sont donc l’apothéose dans son sens étymologique d’aboutissement vers Dieu, vers la lumière. A tous ceux qui ont reçu le logos, il a donné pouvoir de devenir enfants de lumière. A ceux-là qui croient au logos, qui ont dépassé la première naissance du sang, de la chair et du désir de l’homme pour être engendré de nouveau par la lumière qui est en eux. Quelle belle définition de toutes les initiations religieuses ou philosophiques !

Pour Jean il est clair que le logos était le messie et qu’il était Jésus. Mais n’y a-t-il pas d’autres interprétations possibles ?

Le premier livre du Pentateuque, la Genèse, ne dit-il pas la même chose ? Il commence par

בְּרֵאשִׁית, בָּרָא אֱלֹהִים, אֵת הַשָּׁמַיִם, וְאֵת הָאָרֶץ.

qui se lit de droite à gauche par

Béréchit bara élohim ‘èt hachamayim vé’èt ha’arets,

habituellement traduit par :

Au commencement Dieu créa le ciel et la Terre.

Mais est-ce aussi simple ?

Pourquoi Élohim, Dieu, est-il un pluriel, le pluriel d’Éloah ?

Pourquoi bara que l’on traduit par créa est à un temps passé et déjà accompli et devrait se traduire par avait créé ?

Pourquoi le ciel hachamayim est-il aussi un pluriel ?

Pourquoi par deux fois sur la même première ligne y a-t-il ce mot intraduisible de èt qui est même renforcé la deuxième fois par la lettre vav qui veut dire clou puisque chacune des lettres hébraïques est en même temps un mot ?

Commençons par èt. èt en hébreu, s’écrit avec deux lettres qui sont ‘aleph’ et ‘tav’ את, la première et la dernière lettre de l’alphabet hébraïque, le principe et la fin. C’est ce que l’on retrouve dans l’expression française de A à Z et dans l’alpha et l’oméga grec. L’apocalypse de Jean précise en grec « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin ». Que ce soit dans les 22 lettres hébraïques avec le ‘èt’, dans les 24 lettres grecques avec l’alpha et l’oméga  ou dans les 26 lettres françaises avec de A à Z, nous sommes dans la totalité, dans le un et le multiple, dans le commencement et la fin, dans le plus petit et le plus grand, dans le plus fort et le plus faible. Ce que èt relie, ce sont deux parties distinctes d’un même tout, qui n’existent pas l’une sans l’autre et à qui rien ne peut être étranger. Nous sommes dans le divin, « ce qui ne peut être contenu dans le plus grand et qui est pourtant totalement contenu dans le plus petit » comme l’écrivait le jésuite hongrois Gabor Hevenesi. èt, en s’affadissant, a donné le et latin et la conjonction française et. Il a même probablement donné le eti grec.

La première partie de la phrase Béréchit bara élohim peut se traduire par Avant tout la divinité avait créé d’abord parce que élohim est un pluriel et qu’en hébreu l’abstraction s’exprime par un pluriel, ensuite parce que bara est à un temps du passé déjà accompli, enfin parce que la création est tellement vaste qu’elle n’a pas besoin d’être réduite à un complément d’objet direct. Cette phrase est en soi complète et elle est liée à la seconde partie du verset par èt qui montre le lien absolu mais aussi la distinction entre les deux parties de la phrase.

La seconde partie hachamayim vé’èt ha’arets a aussi un èt qui fait un tout indissociable de la Terre et des Cieux, ce pluriel repris à l’hébreu pour son côté abstrait. Mais ce tout indissociable cloué par la lettre vav, du concret de la Terre à l’abstrait des Cieux n’est-il pas la verticale qui permet l’horizontale de la fraternité ? Et nous pourrions peut-être traduire le début de la Bible par :

Avant tout la divinité avait créé et la Verticale est.

Cette phrase est immédiatement suivie de « La terre était dans l’étonnement et dans la confusion et la ténèbre comme le souffle planaient à la surface … » qui peut s’entendre par l’horizontale était pauvrement statique en attente du Logos. Le texte se poursuit par « Dieu dit « Que la lumière soit » et la lumière fut ». Or il ne s’agit pas de la lumière du soleil ou de la lune qui n’apparaissent qu’au 4ème jour de la création dans la Genèse. Il s’agit de la lumière que tout homme cherche, celle qui arrive par la Verticale et qui ne s’apprend pas dans les livres.

Le logos serait donc cet intermédiaire entre la Lumière et nous, un intermédiaire que l’on peut appeler la Verticale, le Prophète, le Sacré, l’échelle de Jacob, le monde intermédiaire ou le Messie. C’est cette spiritualité  qui nous permet de trouver l’harmonie entre nos individualités et notre collectivité. Et c’est cette harmonie qui mène au bonheur, et le logos, quelle qu’en soit la forme, y est indispensable.

Le matérialisme du XXème siècle nous l’a fait oublier en remplaçant la fraternité par la solidarité sans voir que l’on peut être solidaire d’un bloc de béton mais pas lui être fraternel. Il y manque la verticale commune. Nous devons redécouvrir en nous et avec les autres cette spiritualité structurante.

Pourquoi ne pas reprendre la religion civile de Rousseau ?

Si nous voulons éviter la guerre civile par l’affrontement de communautés toutes perdues, une solution pourrait être une religion civile dans laquelle se retrouveraient toutes les religions et qui ne serait que l’ossature commune de ce qu’elles sont toutes. Chacune appliquerait concrètement à sa manière ce qu’elle reconnaitrait être en effet son ossature en ajoutant bien sûr sa carnation personnelle indispensable au concret.

La France par sa devise « Liberté Egalité Fraternité » pourrait être à nouveau un lieu de lumière. Aucune religion ne repousse ces trois mots qu’elles n’arrêtent pas au contraire d’expliquer.

Devise merveilleuse d’abord parce que, à l’instar de tout ce qui est puissant et profond, elle peut être lue par inadvertance dans une extrême fadeur. On peut entendre la liberté comme faire ce que l’on veut, où l’on veut et quand on veut. On peut entendre l’égalité comme l’identité de tous et la fraternité comme un Bisounours général auquel personne ne croit mais où tout le monde fait semblant. Avec ces définitions, la devise est évidemment aussi plate qu’inintéressante.

Mais on peut aussi heureusement l’entendre dans ses sens plus profonds.

La liberté est l’harmonie de l’individu, celle qu’il peut discerner à partir de son énergie qui est son travail, et de ses limites qui sont ses choix. C’est à partir de cette énergie et de ces limites que l’individu, par l’un quelconque des multiples chemins initiatiques religieux ou philosophiques, découvre et construit sa liberté. Dans la Bible c’est Dieu qui initie Abram en lui disant « Va vers toi-même ». Il en deviendra Abraham, le « père des peuples », un homme libre. La fausse démocratie actuelle a tué la liberté par la ploutocratie finement introduite par « un homme, une voix ». L’argent permet de manipuler le peuple en l’enfermant dans son affect et en lui faisant faire au jour J des choix sentimentaux sur des sujets qu’il ne maîtrise pas. S’il les maîtrise comme la peine de mort ou le mariage homosexuel, on ne l’interrogera pas.

L’égalité est l’harmonie du groupe, celle qui est fondée sur l’énergie du groupe, sa monnaie quand elle n’est pas fausse comme actuellement et sur ses limites qui sont ses lois quand elles ne sont pas émotionnelles comme actuellement. L’égalité est très malade chez nous car nous avons désappris que toute vie en groupe est fondée sur le don de soi et l’accueil de l’autre. Ayant oublié que se donner et recevoir l’autre sont les deux bases de l’égalité, nous nous réfugions dans l’identité qui en est le triste ersatz heureusement irréalisable.

La fraternité est l’harmonie du sacré, celle qui est fondée sur l’énergie du sacré, l’égrégore, ce mot disparu des dictionnaires au début du XXème siècle et qui était au XIIème siècle la multitude des anges tant de lumière que déchus. Cette harmonie est aussi fondée sur les limites du sacré qui sont les interdits, les entredits comme l’on disait au XIIème siècle. Ses limites sont dites entre les mots pour ne pas tomber dans le choix ou dans la loi. Les interdits disent évidemment des choses inexactes comme le conte, le mythe, la parabole, le mirage ou la légende, mais ils disent l’essentiel entre les mots, en entredit, en interdit. Nous avons oublié que nous sommes par définition incapables de discerner le bien du mal dans le sacré et que l’homme doit réapprendre l’humilité. Virgile parlait de la détestable soif de l’or (auri sacra fames), Plaute définissait l’homme infâme par « homo sacerrimus » et l’étymologie d’exécrable (ex-sacer) nous rappelle que le sacré n’est pas uniquement le saint (sanctus participe passé de sancire) mais aussi le sacrifié (le « sacer facere » du condamné). Seul le langage commun continue à bien différencier le lieu sacré et le sacré lieu, le temps sacré et le sacré temps.

Si la patrie de nos pères et la nation où nous sommes nés nous intéressent encore, nous pourrions redonner vie à notre devise Liberté Egalité Fraternité. Elle pourrait même devenir cette religion civile qui nous apprendrait à aimer nos devoirs. En aurions-nous le courage ?

De la médiocrité coupable de la laïcité

Les dimanches 18 et 25 novembre l’émission Islam sur France 2  a présenté deux films développant le lien culturel entre la religion musulmane, la langue arabe et le nationalisme algérien, stigmatisant la conquête et « l’occupation » française et soulignant le rôle majeur des religieux musulmans dans l’opposition à l’administration « coloniale » pendant l’entre-deux-guerres.

L’échec de la conquête française est à rapprocher du succès de la conquête arabe par le Machrek (le levant) de la Berbérie chrétienne, l’Afrique du Nord du Maroc à l’Egypte, rebaptisée Maghreb (le couchant).

Cette conquête a été particulièrement bien étudiée par l’universitaire Gabriel Camps, décédé en 2002, dans un article passionnant sur l’islamisation et l’arabisation de l’Afrique intitulé « Comment la Berbérie est devenue le Maghreb arabe ».

www.mondeberbere.com/histoire/camps/arabisation/arabisation.htm

De cet article très détaillé sur l’effondrement de la Chrétienté empêtrée dans ses querelles dogmatiques, je ne retiendrai de cet article que sa phrase de conclusion sur l’époque contemporaine :

« Les pays du Maghreb ne cessent de voir la part de sang arabe, déjà infime, se réduire à mesure qu’ils s’arabisent culturellement et linguistiquement ».

Sans le dire explicitement beaucoup se demandent aujourd’hui si cette phrase ne va pas demain s’appliquer à la France, voire à l’Europe et il est de bon ton d’en refuser même l’idée en la qualifiant d’extrême droite pour ne pas s’en laisser déranger.

Pour se faire une idée personnelle nous pouvons déjà constater que l’islamisation relativement rapide en deux siècles (VIIème et VIIIème siècles) de l’Afrique du Nord a très largement précédé l’arabisation qui n’est toujours pas terminée. L’islamisation s’y est construite sur la faiblesse de la spiritualité chrétienne. C’est dans la faiblesse de la spiritualité du groupe que se préparent les effondrements culturels. On l’a vu en Berbérie, on l’a vu en Bretagne, et les Républicains socialistes francs-maçons expliquaient même sous le second empire, les échecs de la première et de la deuxième République par l’emprise morale de l’église catholique. Il fallait donc créer une religion laïque pour concurrencer l’église catholique dans le domaine de la morale.

Notre ministre actuel de l’éducation Vincent Peillon nous l’explique dans une interview qu’il a donnée au Monde des religions en 2010.

www.dailymotion.com/video/xp67av_vincent-peillon-vers-une-republique-spirituelle-le-monde-des-religions_news

Il nous apprend qu’il fallait dans la 3ème République naissante, « inventer une spiritualité voire une religion spécifique ». Ce qu’a découvert avec surprise en 2003 l’agrégé de philosophie Vincent Peillon c’est que la laïcité est au départ une religion qui veut concurrencer les autres et principalement le catholicisme. Parait de 1876 à 1879, le journal « La religion laïque » et Ferdinand Buisson invente le mot laïcité. Il présidera la commission parlementaire qui préparera la séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905.

Déjà sous le second empire des associations philosophiques préparaient discrètement l’opposition à l’Eglise catholique en regroupant des protestants, des juifs, des athées et des libres penseurs. Ce fut le cas de l’Alliance Religieuse Universelle « Organe philosophique des besoins de l’ordre moral dans la société moderne »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55271809/f1.image

Encore avant, au siècle des Lumières, Jean-Jacques Rousseau avait introduit la « religion civile » au chapitre 8 du dernier Livre du Contrat Social paru en 1762. On y trouve la phrase clé : « Il importe bien à l’Etat que chaque Citoyen ait une Religion qui lui fasse aimer ses devoirs ».

Voilà ce qu’est une religion : une structure qui nous apprend à aimer nos devoirs. Il peut être difficile de faire son devoir mais chacun peut y arriver seul. En revanche seule une religion nous apprend à aimer nos devoirs, ce qui les rend moins durs.

On constate qu’en de très nombreux endroits comme en Algérie, la nation, la langue et la religion forment un ensemble culturel cohérent. C’est le cas en Israël, en Argentine, en Thaïlande dans la plupart des pays arabes et dans les pays d’Europe qui ont le catholicisme, le protestantisme ou l’orthodoxie comme religion officielle comme c’est le cas au Danemark, en Grèce, en Islande, en Angleterre, à Malte et à Monaco.

Tous ces pays croient comme le Dalaï Lama que « Nous pouvons dire que chaque religion possède une manière qui lui est propre d’engendrer des êtres humains bons ».

En France l’effondrement social du catholicisme a laissé vide la place de la religion telle que Rousseau la définit avec force au début du brouillon sur la religion civile :

Sitôt que les hommes vivent en société il leur faut une religion qui les y maintienne. Jamais peuple n’a subsisté ni ne subsistera sans religion et si on ne lui en donnait point, de lui-même il s’en ferait une ou serait bientôt détruit. Dans tout État qui peut exiger de ses membres le sacrifice de leur vie celui qui ne croit point de vie à venir est nécessairement un lâche ou un fou ; mais on ne sait que trop à quel point l’espoir de la vie à venir peut engager un fanatique à mépriser celle-ci. Otez ses visions à ce fanatique et donnez-lui ce même espoir pour prix de la vertu vous en ferez un vrai citoyen.

La laïcité a tenté de prendre la place mais sa médiocrité démagogue l’a entrainée à oublier sa mission d’apprendre à aimer ses devoirs. C’est tellement plus simple de se contenter de les rappeler et d’en regretter l’absence. Cela permet à l’Islam de croitre en France car il fait aimer les devoirs. Mais ceux qu’il fait aimer ne sont pas toujours les nôtres.

Faut-il bousculer la Chrétienté pour qu’elle arrête le Bisounours et retrouve le sens profond de toute religion ? Faut-il imaginer une laïcité qui soit cette religion civile que l’on n’a encore jamais inventé et qui apprendrait vraiment à aimer des devoirs qu’il faudrait définir sans démagogie ? Nous en sommes loin et notre choix actuel est de laisser l’Islam arabisant occuper notre faiblesse. Ce n’est pas lui faire injure que de se poser la question. C’est au contraire se demander si nous ne devrions pas l’imiter et faire comme lui là où il refuse d’être faible. Il maîtrise la place des autres.

La réponse est politique mais la question est civique car il n’est pas digne d’attendre partout que la violence fasse le travail.

La valeur ne se chiffre pas

Toute la science économique est fondée sur le chiffrage de la valeur et, comme chacun a pu le constater, si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme. Les discussions d’économistes sont tristes car elles sont très souvent des querelles de chiffres que personne ne peut ni vérifier ni contester puisqu’ils viennent d’autres économistes réputés impartiaux et qu’ils sont l’aboutissement d’un labyrinthe inconnu que personne ne peut réellement explorer.

Or la valeur se marie mal avec la mathématique. La valeur n’est qu’un regard. A chacun son regard qui peut d’ailleurs varier dans l’espace et dans le temps. Le regard que l’on porte sur un verre d’eau ne sera pas le même en plein Sahara, à côté d’un torrent alpin ou dans une soirée mondaine. Le regard porté sur l’homosexualité va être liberté à Paris et crime à Téhéran. « Quelle est cette vertu que trajet d’une rivière fait crime ? » disait Montaigne. Telle activité ou tel objet n’aura pas la même valeur à 20 ans et à 60 ans. L’or et l’argent n’avaient pas la même valeur dans l’Europe de Christophe Colomb et chez les indigènes des Amériques.

Si deux personnes portent le même regard sur le même objet au même moment et au même endroit, ils lui donneront la même valeur et si l’un veut le vendre et l’autre l’acheter, ce sera le prix de cet objet entre eux deux, à ce moment-là et à cet endroit-là. Il n’y a rien à en tirer d’autre si ce n’est que pour celui qui achète ce sera une valeur d’usage puisqu’il va s’en servir, et pour celui qui vend une valeur d’échange puisqu’il va en tirer de l’argent. Mais s’il n’y a pas à cet instant-là volonté de s’en séparer et volonté d’acquérir, ce sera simplement une valeur, un regard personnel éventuellement partagé.

Parler de « création de valeur » ou de « taxe à la valeur ajoutée » n’a aucun sens (sauf le mot taxe) car le même objet peut être vu comme une richesse, un encombrement ou un déchet. Le crottin de cheval est richesse pour le jardinier, encombrement pour le promeneur et déchet pour le cheval. Il n’a pas de valeur unique.

La valeur est une notion philosophique. Vouloir la chiffrer c’est faire de la mathématique sur de la philosophie et c’est rigoureusement impossible.

Lorsque les Politiques parlent de leurs valeurs, ils savent qu’ils parlent de leurs regards qui sont toujours tournés avec ornières vers la prochaine élection. Il faut faire saliver les électeurs mais surtout ne pas être précis car certains recracheraient. Les Politiques savent que les valeurs ne se chiffrent pas.

Plus sérieusement la valeur étant un regard, elle est le vrai, le bien et le beau. Elle est ce que je crois vrai, ce que je répute être le bien et ce que je considère comme beau. La valeur est le lien entre des personnes qui, ayant le même regard, constituent un groupe avec une même vision du futur à construire sur des bases assez semblables.

Aujourd’hui la valeur a été kidnappée, au singulier par les économistes, au pluriel par les politiques. Il serait bon de prendre conscience qu’un regard commun sur le beau, le bien et le vrai nous manque dramatiquement. Chacun se replie sur soi et attend le choc. Essayons au moins de comprendre pourquoi.

Une pensée maîtresse du monde

Le 17 mars dernier au Sénat se tenait un colloque organisé par l’association Démocraties au cours duquel j’ai dit ces quelques mots :

Il m’a été proposé de travailler « L’argent et l’économie sont la création d’une pensée devenue maîtresse du monde ». Je ne peux que le constater et le déplorer. Je vais essayer de vous en proposer une explication.

L’oïkos, la maison en grec, a donné le préfixe éco à l’économie, l’action dans la maison, et à l’écologie, l’étude de la maison. Malheureusement l’expérience tirée de l’économie et la connaissance tirée de l’écologie n’ont pas réussi à s’associer au discernement pour faire vivre l’écosophie, la sagesse de la maison, dont le but est d’exprimer les problèmes et d’en explorer les réponses possibles.

Le siècle des Lumières a éveillé en Occident le « Yes we can » qui a fait florès depuis, et l’homme occidental s’est décrété encyclopédique. Il a cru avoir atteint la Vérité avec un grand V, l’etumos grec alors qu’il n’était, comme les autres, que dans l’aletheia, la vérité contingente, celle du groupe, celle qui devient erreur en franchissant les Pyrénées comme le disaient Montaigne et Pascal. Mais ce souffle de confiance en soi, marié au savoir universel Hégélien et à la puissance Nietzschéenne a donné corps à tous les rêves adolescents. Du premier rêve adolescent « Je suis le plus fort et le plus beau », nous avons fabriqué le fascisme. Du deuxième rêve adolescent « Personne ne me donne d’ordre », nous avons fabriqué le communisme car la dictature du prolétariat n’a jamais été qu’une étape vers l’absence d’Etat. Du troisième rêve adolescent « La vie est facile et tout m’appartient », nous avons fabriqué le capitalisme. Ces trois idéologies fondées sur la prétendue capacité de l’homme a tout résoudre, se sont voulues modernes, c’est-à-dire « à la mode », vecteur de progrès sans dire vers où, et universelles puisque ne supportant pas plus la contradiction qu’un rouleau compresseur. Toutes ces idéologies ont voulu faire croire qu’elles venaient du peuple alors qu’elles étaient venues de l’esprit d’intellectuels, certes brillants, pendant que le peuple était, lui, déjà condamné au concret. Elles ont développé au siècle dernier deux courroies de transmission, les médias pour séduire et l’administration pour maitriser. Dans les trois cas les médias ont glissé vers la propagande, et l’administration est devenue policière, ce qui a séparé encore davantage le peuple de ses élites qui ont eu du mal à réaliser que séduction et contrôle rendaient de plus en plus difficiles leur réconciliation avec le peuple.

Aujourd’hui l’Occident est divisé entre ses peuples et ses classes dirigeantes. Les peuples tentent de survivre et transforment leur peur de l’avenir en haine de soi (chacun doit avoir son psy) ou en haine des autres avec la montée de la violence. Les classes dirigeantes, malades de leur vanité font corps avec le capitalisme. Or le capitalisme, fort de la mort de ses deux concurrents, pense avoir réalisé leur rêve et avoir enfin réussi à construire cette tour de Babel qui transperce le ciel. Le capitalisme est convaincu d’avoir transformé sa médiocre vérité contingente en vérité universelle et mondialisée. La pensée occidentale se réduit jour après jour à une gestion des contradictions du capitalisme, à un « faire croire » sans y croire et à une immédiateté qui a peur d’un lendemain que personne ne voit plus. Comme tout ce qui est faible, la pensée occidentale se protège par des affirmations péremptoires. Nos élites sortent d’écoles où on leur a fait croire qu’elles étaient les meilleures et d’universités où, pour avoir leur diplôme, elles ont répété sans comprendre ce qu’elles ont entendu. La pensée occidentale a fortement décliné en discernement, en courage et même dans la perception de la réalité.

Les applications de ce constat difficile sont nombreuses. Les décisions fondées sur les fausses certitudes s’opposent à la vérité des faits comme des plaques tectoniques qui, s’avançant l’une vers l’autre, conduisent toujours aux séismes. La classe dirigeante appelle ces séismes « La crise » car cela lui donne l’impression que cela s’arrêtera de soi-même et surtout qu’elle n’en est pas responsable. Notre élite est perdue et n’arrive même plus à se l’avouer tellement il lui faudrait accueillir le fait de s’être trompée pendant des décennies. Les communistes ont fait ce deuil, avec difficultés, mais les capitalistes n’arrivent pas encore à réaliser que leur voie aussi est sans issue. Notre élite se repose unanimement sur un quadrige de fées qui doit tout résoudre. La fée innovation pour changer le temps, la fée Europe pour changer l’espace, la fée formation pour changer les hommes et la fée croissance qui doit fabriquer dès son retour prochain les richesses qui régleront tous nos problèmes.

Nous connaissons tous le conte d’Andersen « Les habits neuf de l’empereur » dans lequel des escrocs convainquent l’empereur, de la beauté d’un tissu que les imbéciles ne peuvent pas voir. Tout le monde, y compris l’empereur, admire la beauté du costume fabriqué par les escrocs avec ce merveilleux tissu jusqu’à ce qu’un enfant dise « Mais il est tout nu ! ». En 1971 le très sérieux New England Journal of Medecine publia un article intitulé « Syndrome des habits de l’empereur » dans lequel il expliquait qu’un diagnostic erroné peut être confirmé par plusieurs médecins par « contamination du diagnostic précédent ».

C’est ce qui se passe avec la science économique, tissu d’analyses erronées et terriblement contaminantes. Molière fait dire à Sganarelle à l’attention de ce benêt de Géronte : « Et voici pourquoi votre fille est muette » après un salmigondis incompréhensible. Les économistes et les politiques ne font pas mieux quand ils assènent à la méthode Coué qu’il faut aller chercher La croissance car elle seule nous sortira de La crise. Personne ne comprend mais personne n’a le courage de le dire. Faut-il qu’un enfant vienne réveiller les adultes ?

Parmi les analyses défectueuses de la science économique, la plus criante est probablement celle de la monnaie et, si l’on comprend les angles de vues réduits d’Adam Smith et de Karl Marx, on comprend plus difficilement qu’ils n’aient jamais été remis en cause. A en croire la science économique « au début était le troc et un jour c’est devenu trop compliqué et on a inventé la monnaie ». Si elle avait raison dans sa vue matérialiste et si le troc était au début de tout groupe et avait précédé la monnaie, maman ne ferait l’amour que contre le chèque des courses et papa n’emmènerait les enfants à l’école que s’ils avaient débarrassé la table et fait leurs lits. C’est évidemment faux et pourtant chacun se soumet. Dans la réalité un groupe se constitue pour une raison d’être ensemble. Les individus se rassemblent pour survivre, pour se défendre, pour attaquer, pour se reproduire, pour grandir ou pour voyager. Ce qui réunit les membres du groupe c’est leur vision commune de leur lendemain commun, c’est leur lien social. A l’intérieur de ce lien social on va tout naturellement constater à la fois l’émergence d’une direction, d’une tête, individuelle ou collégiale, ainsi qu’une répartition du travail à faire où chacun fera naturellement ce qu’il sait faire le mieux. Chacun, mu par sa conscience ou par son désir, donnera le meilleur de lui-même et accueillera les autres comme ils sont. L’organisation du groupe se fera autour de la répartition du travail, ce qu’Adam Smith et Karl Marx étudiaient comme la division du travail. Ils le voyaient comme un échange des biens et des services alors qu’il est beaucoup plus fondamentalement un échange des êtres, un don de soi à la collectivité et un accueil de tous les autres. Tout naturellement le groupe s’organisera pour que les besoins divers des uns soient satisfaits par le travail des autres et réciproquement. Chacun contribuera sans rien chiffrer à la réalisation du lien social, à l’harmonie du groupe. Si telle fonction essentielle n’est pas remplie spontanément, la direction utilisera son autorité pour qu’elle ne manque plus. Le groupe ne sera pas dans le troc, il ne sera pas dans l’échange des avoirs mais dans l’échange des êtres, dans le don de soi et dans l’accueil des autres. Il sera dans l’efficacité d’être ensemble, efficacité complexe dont l’échange des biens et des services n’est qu’un regard superficiel. On observe encore aujourd’hui cette sorte de constitution dans toutes les nouvelles associations loi de 1901.

Chacun apportera à la collectivité sa personne, ce qu’il saura faire, ce que son travail passé lui aura appris et ce que son travail présent lui fera réaliser. Il recevra pour cela la part de l’œuvre collective à laquelle il aura droit sur le chemin commun de la réalisation du lien social, du but commun. S’il se relâche plus que de raison, la direction du groupe le rappellera à l’ordre.

Ce don de soi, le don de son énergie individuelle, de son travail, manuel et intellectuel, crée un échange d’énergie entre les membres. Cet échange d’énergie renforce le lien social et soude encore davantage le groupe. Limiter l’échange d’énergie à l’échange des biens et des services est dangereusement réducteur. C’est en réalité beaucoup plus complexe que cela puisqu’il s’agit d’un échange d’énergie humaine.

Les énergies individuelles sont comptabilisées dans la mémoire du groupe et la stabilité sociale exige que l’énergie produite par chaque membre soit équilibrée par rapport aux autres et bien répartie entre chacun. A titre d’exemple, dans une famille on dira à un enfant : « Dis donc, tu pourrais aider ! Tu ne fais rien, tu laisses tout faire aux autres, mets la table et range ta chambre ». L’harmonie du groupe se maintient parce que le pouvoir veille à ce que chacun se dépense. Le pouvoir a la mémoire du travail de chacun.
Mais quand le groupe devient important en nombre, la mémoire du pouvoir perd de son efficacité et la réalité du travail de chacun est de plus en plus difficilement contrôlable. Alors le pouvoir, laxiste ou débordé, se sentant incapable de surveiller la réalité de l’apport de chacun, invente la monnaie La monnaie sera en effet la mémoire du travail passé des membres du groupe. La racine du mot monnaie tout comme le mot monument vient du grec mnêmosunê, « dont on se souvient ». Martin Litchfield West, professeur émérite au All Souls College d’Oxford, nous en explique même la forme causative dans son livre Indo-european poetry and myth paru en 2007 à l’University Press d’Oxford.

« Moneta désigne, nous dit-il, la déesse qui monet, c’est à dire qui fait se souvenir, moneo étant une forme causative de la racine *men-. »

Moneo étant une forme causative, la cause du monument comme de la monnaie est de se souvenir.
Pour ce faire le pouvoir a choisi des matière recherchées, pérennes, rares, divisibles et transportables comme de petits coquillages peu communs, du sel ou plus tard, du bronze, du cuivre, de l’argent ou de l’or. La monnaie sera également la preuve du travail présent car la monnaie force à chiffrer les biens et les services et contraint chacun à gagner son argent. La monnaie devient l’énergie commune, l’énergie sociale.

Cette énergie sociale n’existe que par la reconnaissance par le groupe que la monnaie est accumulation collective des énergies individuelles, cumul du travail des membres du groupe. Chacun sait que l’énergie est toujours très difficilement stockable mais l’homme a réussi à stocker son énergie personnelle dans la monnaie. La monnaie est énergie sociale, substitut de l’énergie humaine. Mais comme ce substitut n’est au départ reconnu que par les membres du groupe, la monnaie est aussi le symbole du lien social dont le pouvoir est garant, ce qui donne à ce dernier le droit de battre monnaie.

Mais battre monnaie ne peut se faire que si parallèlement il y a davantage d’énergie humaine à stocker. Le pouvoir doit vérifier que l’énergie humaine du groupe a véritablement augmenté par le travail ou la procréation. Si ce n’est pas le cas cette fausse monnaie sera automatiquement annulée par deux impôts que le peuple paye : la dévaluation pour ceux qui gardent leur argent et la hausse des prix pour ceux qui le dépensent. M. Asselain, professeur d’économie à Bordeaux IV a donné au ministère des finances le 4 février 2002 une conférence où il rappelait que le franc Poincaré de 1910 n’avait rien perdu pendant plus d’un siècle sur le franc Germinal de 1802 alors que lors du passage à l’euro le franc avait perdu 99,95 % de sa valeur Poincaré. Le XXème siècle a été le siècle de la fausse monnaie occidentale.

Le système capitaliste réussit alors un coup fabuleusement pervers : il fait de ses victimes ses complices. L’épargnant, pour ne pas voir ses économies dévaluées va les placer à intérêt et fabriquer à son tour de la fausse monnaie qui créera une nouvelle dévaluation et une nouvelle hausse des prix. Le consommateur, voyant les prix monter et sachant que son épargne sera dévaluée, va tout dépenser pour le plus grand bonheur du système et qui le félicitera de faire la croissance tant attendue pour enrichir l’Etat et donner de l’emploi.

Le capitalisme n’a jamais accepté l’évidence qu’une énergie ne se multiplie pas d’elle-même. Il est aussi impossible de fabriquer de l’électricité avec de l’électricité que de faire de l’argent avec de l’argent. Toutes les sagesses nous le disent depuis des siècles. Aristote écrivait dans la Chrématistique : « J’ai vainement cherché sur une pièce de monnaie ses organes reproducteurs ». L’Islam condamne la riba, l’intérêt du prêt, l’usure, comme le christianisme et le judaïsme. Luther écrit dans son grand sermon sur l’usure : « Il y a usure dès que l’on demande plus qu’on a prêté ». Les papes Benoit XIV et Grégoire XVI ont mis dans une encyclique : « Si une personne a reçu plus qu’elle n’a donné, elle est tenue à restituer le trop perçu ». Nous, nous avons préféré changer le sens du mot usure et laisser un monde financier lever un impôt privé. Nous commençons à payer notre erreur.

Le bon sens serait de marier l’énergie humaine stockée qu’est la monnaie avec l’énergie humaine vive qu’est le travail pour créer des richesses aux yeux du groupe. L’Etat, pouvant lever l’impôt, pourrait même financer par des prêts à intérêt les activités utiles au groupe. Ce serait moins grandiose que le rêve capitaliste mais tellement plus réaliste.

L’incompréhension de ce qu’est la monnaie entraîne bien d’autres non-sens comme le PIB présenté comme un produit alors qu’il n’est qu’une addition de toutes les dépenses qu’elles soient utiles ou inutiles. On nous fait croire qu’un pays à fort PIB est un pays riche. Ce n’est qu’un pays dont les habitants dépensent beaucoup. Et quand c’est avec de l’argent emprunté à des banques qui le créent, cela fait un pays plus stupide que riche.

Voila pour l’économie mais les contradictions de la pensée occidentale ne se limitent pas à l’économie et la plaque tectonique de notre vanité s’oppose en tous domaines à celle de la réalité.
Pour la gouvernance des peuples « Un homme une voix », base théorique de la démocratie, s’oppose à l’observation que c’est la façon la plus efficace de donner définitivement le pouvoir à l’argent sans possibilité de retour en arrière.
Concernant l’éducation, on l’a limitée à l’instruction alors qu’une accumulation de connaissances savamment sélectionnées n’a jamais généré le discernement qui manque cruellement et qui n’intéresse pas les tenants du système prétendument éducatif.

Ce qui est surprenant c’est que la plupart des dirigeants de la Terre, déformés dans les universités occidentales, se coupent de leurs peuples et de leurs cultures en tentant de suivre notre chemin sans issue parce qu’on les achète avec notre fausse monnaie qu’ils viennent d’ailleurs dépenser chez nous.

Partout les révolutions couvent car les peuples ne peuvent suivre les idéologies mondialistes. Les peuples savent inconsciemment que si nous voulons tous le même pétrole et la même viande nous nous entretuerons pour les posséder dès que le faux argent aura fait long feu. Chaque culture devrait chercher en elle-même comment sauver son peuple de la bêtise capitaliste et de ses valeurs prétendument universelles. Quant à nous la vraie difficulté va être de reconnaître que nous sommes dans un paradigme impossible et que nous avons emprunté une voie sans issue depuis plus d’un siècle. La fuite en avant de notre fausse élite et le bon sens populaire que le concret conserve, vont s’affronter comme on commence à le voir en Grèce. Pour éviter que cela ne se termine en fleuve de sang, nous devons convaincre nos contemporains qu’il est grand temps de se réveiller.

Il m’intéresserait d’avoir des commentaires afin de comprendre pourquoi rien ne bouge.

Avons-nous encore une vérité ?

Nous subissons tous le matraquage médiatique de vérités « scientifiquement prouvées » dont le seul but est de ne pas ouvrir le débat. C’est le « Circulez, il n’y a rien à voir » de Coluche.

Pour les non-scientifiques le mot science est souvent un puits duquel la vérité sort toujours toute nue dans sa beauté resplendissante. Heureusement l’immense majorité des scientifiques est composée de chercheurs qui savent que l’histoire de la science est composée de multiples demi-tours, de remises en question et de reconnaissances d’erreurs. Bon nombre d’entre eux admettent qu’au-delà de leurs connaissances actuelles, aussi bien dans l’infiniment petit que dans l’infiniment grand, il y a un inconnu qu’il faut peut-être écrire Inconnu avec une majuscule.

Les Grecs avaient deux mots pour parler de la vérité: etumos et aletheia. En revanche, ils n’en avaient qu’un pour définir l’erreur, c’était pseudo. Les hellénistes expliquent que si l’erreur était volontaire, elle s’opposait à aletheia mais que si elle n’était pas voulue, elle était l’inverse d’etumos.

Pour être volontairement dans l’erreur il faut connaitre la vérité. Si on ne la connait pas, l’erreur ne peut être qu’involontaire. Cette approche permet de différencier ces deux types de vérités : celle, unique, que nous ne connaissons pas, que nous cherchons, la Vérité avec un grand V, l’etumos ; et celles multiples, qui définissent ce qui est la vérité avec un petit v, l’aletheia, la vérité d’un groupe, quel qu’il soit. Les définitions communes du vrai, du beau et du bien, sont en effet le lien social d’un groupe, son ciment, et elles n’ont toutes trois aucune portée universelle, pas plus que leurs composés deux à deux que sont le riche (beau & bien), le pur (vrai & beau) et le juste (bien & vrai). Toutes ces notions ne sont réputées vertus que dans le groupe auquel on appartient et la vérité y est une aletheia.

C’est de l’aletheia que parle Montaigne :

« Quelle vérité que ces montagnes bornent qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ?

C’est encore l’aletheia que Pascal évoque quand il dit :

«Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».

Balzac enfonce le clou en mettant dans la bouche de l’usurier Gobseck :

« Rien n’est fixe ici-bas, il n’y existe que des conventions qui se modifient suivant les climats ».

Le psaume 84 dans la version hébraïque (85 dans la version latine) donne cette belle définition de l’aletheia : « La vérité germera de la terre ».

Et chez nous aujourd’hui, quelle est la vérité qui germe de notre terre ?

La construction d’aletheia nous donne la clé car le mot est composé d’un a privatif et de lêthe, l’oubli. L’aletheia est une absence d’oubli et sans participation profonde à un groupe, il ne peut y avoir d’aletheia. Si on oublie le groupe, on oublie ses notions du beau, du bien et du vrai et il n’y a plus d’aletheia. En ces temps d’affaiblissement de tous les groupes y a-t-il encore des aletheia vivantes ?

Du côté de l’etumos, cette vérité inconnue que nous tentons d’approcher, nous avons reçu l’étymologie qui est davantage que la quête de l’origine des mots. Elle est quête du sens pour se rapprocher de la Vérité sans jamais l’atteindre alors que certains « experts » scientifiques prétendent livrer La Vérité qui n’est pourtant que leur vérité du moment et de leur groupe.

Il est par ailleurs intéressant de noter que dans les quatre Evangiles qui ont tous été écrits en grec, le Christ ne parle que de l’aletheia, la vérité du groupe des humains qu’il fédère. Il laisse l’etumos à son Père.

Enfin nous sommes aveuglés par les trois totalitarismes matérialistes du XXème siècle qui ont essayé de nous faire croire que cette Vérité que nous cherchions était chaque fois leur idéologie. Le manque d’humilité, constante du fascisme, du communisme et du capitalisme, nous a fait abandonner cette recherche que nos aïeux faisaient à l’ombre des totems, des clochers, des minarets, de l’échelle de Jacob ou d’Yggdrasil. C’est pourtant cette recherche, souvent collective, qui leur apprenait à aimer leurs devoirs et à rester humble devant la tempête et le volcan en éruption. Qui cherche encore cet etumos indispensable, dans le dernier mondialisme à la mode, celui du capitalisme ?

Faut-il rappeler que sans vérité, au moins celle du groupe, il ne peut y avoir d’espoir ? Balzac rappelait fort justement que « L’espoir est une mémoire qui désire » et une mémoire, pour désirer, doit se nourrir de vérité. N’est-il pas temps de nous remettre à travailler l’etumos et à croire à notre aletheia ? Mais pour cela, ne faut-il pas commencer par savoir à quel groupe nous appartenons ?

La richesse n’est qu’un regard

Le XXème siècle, a été le siècle du triomphe éphémère des trois idéologies fasciste, communiste et capitaliste. Il nous a habitués à tout chiffrer car le chiffre, la plupart du temps asséné et invérifiable, donne un vernis scientifique et coupe court à toute discussion. Les politiques sont passés maîtres dans l’art de jouer avec les chiffres. Ils se lancent avec talent  dans ces fameuses batailles de chiffres qui feraient presque croire à leur sérieux.

Si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme et arrête la réflexion. C’est probablement la raison pour laquelle les idéologies aiment tout chiffrer.

L’exemple de la richesse est révélateur. Nous savons que riche vient du mot franc rikki qui veut dire pouvoir et le pouvoir se chiffre mal. J’ai souvent pris l’exemple du crottin de cheval qui est richesse pour le jardinier, déchet pour le cheval et encombrement pour le promeneur. Nous pouvons prendre aussi l’oxygène, excrétion du règne végétal et richesse du règne animal. L’antiquaire, le brocanteur ou le ferrailleur ne ramassent-ils pas les déchets et les encombrements des uns pour les proposer comme richesses aux autres ? Le siècle des grandes découvertes a enrichi l’Occident de métaux précieux, d’épices et de tissus admirables que nos ancêtres échangeaient contre ce qu’ils appelaient de la pacotille. Ils souriaient de la naïveté de leurs partenaires … qui devaient en faire autant ! Une maison construite sans permis sur un littoral corse est-elle une richesse, un encombrement ou un déchet à faire disparaitre ?

La richesse n’est qu’un regard et le triple drame économique du capitalisme est d’avoir voulu la chiffrer, la croire universelle et la décréter objective.

L’incroyable imbécilité du PIB qui additionne nos dépenses pour nous les présenter comme des richesses, est stupéfiante dans tous les sens du terme. L’INSEE qui tente de calculer le PIB ne se demande même pas si ces dépenses sont utiles ou stupides, si elles sont faites avec de l’argent économisé ou de l’argent emprunté. Nous dépensons donc nous sommes riches et il faut dépenser toujours davantage. On fait la même croissance en dépensant l’argent des autres grâce à l’exportation comme l’Allemagne ou en dépensant un argent que l’on emprunte pour acheter ce que l’on importe comme la France.

Faut-il vraiment parler de crise ? Ne faudrait-il pas mieux constater le chant du cygne d’une idéologie qui ne cherche même plus à s’expliquer ? Comme l’ont fait avant elle ses grandes sœurs, les idéologies fasciste et communiste, l’idéologie capitaliste recule les échéances de son déclin en envoyant toujours davantage son clergé dans les médias pour séduire et en alourdissant en permanence  le fardeau qu’elle fait supporter au peuple par, au choix, la dévaluation, la hausse des prix ou le chômage.

Ce que vous dites, nous le savons tous…..

Il y a peu de temps, un cadre supérieur qui me ramenait vers son bureau de la Défense me disait : « Ce que vous dites, au fond nous le savons tous mais nous n’avons pas envie de l’entendre ».

Après plusieurs années de pétrissage écosophique et grâce à mes amis j’ai pris conscience de quelque chose d’essentiel.

Quand les réponses aux questions sont trop dérangeantes, elles deviennent incompatibles avec le déroulé quotidien de la vie et elles sont inaudibles en l’état.

En revanche ce qui peut être transmis ce sont les questions et chacun s’apercevra qu’en l’absence de réponse audible, la question sera en elle-même le soc d’un premier labour. Laissons provisoirement aux réponses leur côté inouï.

Cherchons individuellement nos réponses à nos questions mais à ceux qui n’ont pas envie d’entendre et qui sont probablement majoritaires, gardons pour plus tard les embryons de réponses et contentons-nous de semer les questions sans forcer nos auditeurs à chercher ou à écouter une réponse. C’est souvent trop pour une même journée.

Amenons d’abord doucement nos interlocuteurs à la pertinence de nos questions. Evitons le double piège de la réponse qui est impossible à accepter en l’état mais aussi de la question qui n’aurait pas d’intérêt puisque nous n’apportons pas la réponse. Nos questions doivent toujours être ouvertes :

La croissance économique se finance. Donc elle coûte. Comment enrichit-elle ?

Comment expliquer que ce sont dans les lieux éventuellement durs comme la mer, le désert ou la montagne que les hommes fabriquent les groupes les plus efficients ?

Si les hommes, de plus en plus nombreux, aiment tous le même pétrole, le même uranium et la même viande de bœuf, comment la Terre va-t-elle fournir ?

Pourquoi les morts sortent-ils des hôpitaux par une porte réservée ?

Si les questions dérangeantes sont enfin accueillies, le génie humain ouvrira la porte aux réponses.