L’unanimité dans la folie

L’histoire de Sodome racontée dans la Genèse commence par une phrase de Dieu parlant d’Abraham : « J’ai voulu le connaitre afin qu’il prescrive à ses fils et à sa maison d’observer la loi… » (Ge 18,19). Malgré cette phrase explicative du verbe connaitre dans ce récit, nous avons préféré l’interpréter comme dans « L’homme connut Eve. Elle devint enceinte » (Ge 4,1) et nous avons inventé l’expression « connaître au sens biblique » qui est impertinente vis-à-vis de Dieu. Chouraqui dans sa traduction de la Bible utilise le verbe pénétrer qui permet habilement les deux interprétations sans enfermer Sodome dans la sodomie qui empêche de voir le sens profond et terriblement actuel de ce texte. Ce sont « Les gens de Sodome, du plus jeune au plus vieux, le peuple entier sans exception » (Ge 19,4) qui viennent dire à Loth « Fais les sortir pour que nous les connaissions » (Ge 19,5). Sans s’attarder sur la bêtise de Loth déjà remarquée par son oncle Abraham et qui propose ses filles avec sa finesse habituelle, il faut remarquer la vraie sanction du bourrage de crâne exigé par la populace. « Ils frappèrent de cécité les gens depuis le plus petit jusqu’au plus grand » (Ge 19,11). Nous connaissons tous la destruction de Sodome mais n’avons-nous pas oublié que, lorsque tout marche sur la tête, l’aveuglement général précède l’effondrement ?

C’est aujourd’hui l’unanimité de nos aveuglements qui doit nous faire réagir tellement nous savons au fond de nous-mêmes que ce sont des aveuglements tout en n’ayant aucune envie de trop en prendre conscience.

– Aveuglement économique en fondant tout sur la manne divine que l’on appelle PIB. Nos élites ne disent même plus le PIB annuel mais la création annuelle de richesses. 99,99% de la population a été formatée pour croire à cette création de richesses et à confondre la production et l’agitation. Heureusement ce qu’on appelle la crise empêche la léthargie.

– Aveuglement éducatif en fondant tout sur la connaissance et en négligeant l’expérience. Nos élites quand elles veulent investir en éducation ne pensent qu’école ou université. La confrontation au réel n’a quasiment plus d’adeptes alors qu’elle nous manque tellement. 99,99% de la population a été formatée pour croire qu’aider l’humanité, c’est implanter partout des écoles au lieu de s’enrichir avec humilité de l’expérience fabuleuse des peuples sans bancs de classe. Heureusement l’incapacité de plus en plus évidente qu’a l’école à intégrer ses fournées annuelles d’éduqués empêche la léthargie.

– Aveuglement politique en fondant tout sur l’intelligence collective de la foule appelée mensongèrement démocratie alors que la démocratie est, sur un sujet donné, l’avis majoritaire des gens responsables c’est-à-dire libres, compétents et engagés. C’est dire si nous sommes encore loin de cette merveilleuse utopie. Pourtant 99,99% de la population a été formatée pour croire que « Un homme, une voix » est la formule sacrée qui permet de distinguer l’aristocratie naturelle que cherchaient, tant les révolutionnaires français que les premiers présidents américains. Heureusement la médiocrité du résultat et l’augmentation massive des non-inscrits, des abstentionnistes et des bulletins blancs et nuls, empêchent la léthargie.

A Sodome il n’y avait pas d’exception nous dit la Bible. A nous de déceler, de réunir, d’agglomérer, d’enrichir et probablement d’activer ce qui nous reste d’exceptions pour sauver notre civilisation gréco-latine ou plus exactement les valeurs de cette civilisation qui sont autrement plus riches que les sacro-saintes quoiqu’absconses « valeurs de la république » !

« La vertu du regard éloigné » (Lévy-Strauss)

Il faut sans doute, une bonne fois pour toutes, comprendre la complicité objective qui lie les peuples et leurs dirigeants dans la fuite en avant drapée dans le mot démocratie qui n’est qu’un achat fort coûteux par les puissants de l’affect des peuples. Les peuples ne comprennent évidemment rien à la comédie générale qui leur est proposée, ils en pressentent la duperie mais jouissent pour la plupart en occident d’une vie facile à laquelle ils n’ont guère envie de renoncer.

Cette complicité empêche de voir la simplicité du problème et le coût abominable des multiples paravents que nous mettons nous-mêmes en place pour ne pas nous laisser pour l’instant déranger par la réalité. Car si la réalité du problème est simple, la réalité de la solution est vertigineuse et apeure tout le monde.

Les paravents sont éducatifs quand on fait croire que l’accumulation de connaissance génère le discernement. Ils sont politiques quand on arrive à faire croire que l’avis majoritaire de la foule définit l’intelligence. Ils sont économiques quand on prétend qu’il existe des cycles et que tout repart toujours, alors que seule la guerre est cyclique quand elle devient la seule capable de remettre les yeux en face des trous.

L’un des pires paravents économiques est la fausse croyance que nous créons des richesses à nous partager et que le PIB mesure une production alors qu’il ne mesure qu’une activité sans différencier l’activité saine de l’agitation malsaine. Les diatribes actuelles entre d’un côté les pays comme l’Angleterre ou l’Espagne qui mettent la prostitution et la drogue dans le PIB et qui sont soutenus en France par le sénateur Philippe Marini, président de la commission des finances, et de l’autre l’INSEE qui continue à vouloir faire croire que le PIB est une production et qu’on ne peut y intégrer « l’immoral », ces diatribes montrent bien l’étendue du faux débat. Tout le monde sait que le PIB et la croissance ne mesurent que l’activité et qu’ils ne se soucient ni de l’origine de ce qui est vendu, ni de l’origine des fonds qui ont permis l’achat. La prostitution comme la drogue, les accidents de voiture ou les marées noires font évidemment techniquement de la croissance. Ce qui est stupide ce n’est pas de faire le lien entre la croissance et l’emploi mais de faire croire que la croissance enrichit et permet l’emploi alors qu’elle se paye et que l’unanimité est totale pour ne pas se demander qui paye.

Nous ne pouvons consommer que ce que notre travail nous rapporte s’il est reconnu utile par le groupe. Ce que nous produisons n’est richesse que si c’est acheté par quelqu’un qui en a envie et qui a de quoi l’acheter. Si personne n’en a envie ou si le client potentiel n’a pas de quoi payer, la production n’est plus richesse mais encombrement ou déchet. Cette évidence simple est très dérangeante car elle limite notre consommation et nous force à nous bousculer. Elle est totalement anti électorale car elle évalue notre consommation à l’aune de notre utilité réelle. Et comment évaluer notre utilité réelle dans un groupe dont nous ne savons plus ni la taille, ni le lien, ni même s’il existe encore ?

Alors pour ne surtout pas regarder la réalité en face et continuer à flatter l’électeur qui ne peut payer sa consommation, on tente de faire payer les autres et de faire payer le futur.

Faire payer les autres, c’est la balance commerciale excédentaire. Chacun la veut dans ce mondialisme qui vante la liberté des renards dans les poulaillers. Chacun se croit renard et beaucoup se retrouvent poules. C’est notre cas où à force de vouloir faire payer les autres, nous payons en plus pour les autres. Nous devons retrouver le bon sens que la dernière guerre nous avait réintroduit par le Conseil National de la Résistance et par la charte de La Havane que l’ONU avait préparée mais que les USA n’ont pas ratifiée après l’avoir pourtant signée. La Charte de La Havane confirmait qu’on ne fait pas payer les autres et que les balances commerciales ne peuvent être ni excédentaires ni déficitaires.

Faire payer le futur c’est l’emprunt. Il est pourtant par définition irremboursable puisqu’il n’y a création de richesse que si elle est consommée et qu’elle ne peut donc servir une deuxième fois à rembourser un emprunt. La démonstration mathématique que la somme de toutes les valeurs ajoutées de toutes les entreprises n’est égale qu’à la somme de toutes les consommations, est prudemment mise sous le boisseau pour ne pas déranger. Un emprunt remboursé est forcément un appauvrissement créé quelque part. Si l’on n’arrive pas à faire provisoirement payer les autres comme le fait l’Allemagne, l’appauvrissement s’accumule dans les entreprises avec les conséquences que l’on constate et que les puissants appellent la crise.

La guerre remet les yeux en face des trous et quand elle se termine, le bon sens reprend provisoirement le dessus. Ne pourrions-nous pas, pour remettre les yeux en face des trous, donner sa chance à notre intelligence et éviter les drames de la guerre ?

Rigueur et sérénité

Avancer dans la vie vers la sagesse, c’est réussir à harmoniser en soi rigueur et sérénité.

C’est loin d’être facile car la tentation de se perdre dans l’apparence, dans le semblant et dans le laisser-croire nous guette à chaque instant. Pourtant nous devons prendre conscience que la rigueur et la sérénité sont les deux pieds nécessaires au bonheur que nous recherchons tous.

Que la sérénité soit un pied essentiel n’échappe à personne car elle est apaisement et équanimité, ce vieux mot français, ressuscité par le bouddhisme, qui nous parle avec bonheur d’égalité d’humeur.

Il est moins immédiatement évident que la rigueur soit aussi importante. Et pourtant c’est tout le problème de la liberté qui s’y trouve posé.

La vraie liberté n’est pas de faire ce que nous voulons quand nous le voulons mais être esclave de nos propres choix avec la sérénité nécessaire pour les faire évoluer. La rigueur imposée par nos propres choix est essentielle car elle est le cadre qui nous permet de canaliser nos actions, de leur donner un appui et une direction. On voit les drames que génère la non-application de ce principe dans l’écoulement des eaux de pluie qui ne sont plus régulées par les haies et qui génèrent les inondations que nous connaissons. Le manque de rigueur génère le laisser-faire et le laisser-aller qui induisent toujours à terme le désastre.

D’un autre côté trop de rigueur mène à la rigidité qui enferme et stérilise la curiosité et l’étonnement.

On voit que la rigueur est une qualité délicate, à manier avec prudence. Le trop peu mène au laisser-faire et à l’abandon de la sérénité par l’arrivée de la violence. Le trop donne une fausse sensation de protection et stérilise la curiosité, la recherche et le mouvement.

Comment trouver le bon équilibre ? C’est le groupe qui aide à bien placer le curseur et la qualité du groupe y est essentielle. Le groupe doit lui-même être serein et rigoureux. C’est loin d’être aussi fréquent que souhaitable et l’on retrouve là, la nécessité de l’harmonie entre l’individuel, le collectif et le sacré. La rigueur et la sérénité du groupe aide à la rigueur et à la sérénité de ses membres comme la rigueur et la sérénité du groupe sont construites par la rigueur et la sérénité de ses membres.

La soumission commune à un sacré qui dépasse le groupe comme ses membres crée la fraternité probablement indispensable à la fusion commune au groupe et à ses membres de la rigueur et de la sérénité.

Vœux, promesses faites aux dieux.

Le début d’année est traditionnellement le moment des vœux. Vœu vient de votum, participe passé du latin classique vovere qui veut dire « faire une promesse à une divinité  en échange d’une faveur demandée ou accordée ». C’est une forme de contrat moral et il est très intéressant de noter que c’est aussi l’étymologie du vote qui ne vient pas de vox, la voix, mais de votum, le vœu. Le vœu est devenu à la fin du XIXème siècle « une demande faite par qui n’a pas d’autorité pour la faire appliquer » (dictionnaire historique de la langue française). On comprend mieux alors les vœux tristes et pieux du Président de la République.

Alors, quel contrat pour 2014 ? Que demander aux dieux et que leur proposer ?

Nous ne pouvons leur proposer que notre énergie mais nous pouvons leur demander de la transformer en discernement, en courage et en humilité.

En discernement

Pour comprendre que notre monde croit plus à l’apparence qu’à la réalité. Qu’il s’endort rapidement dès qu’il voit qu’en important, on a de quoi vendre et qu’en empruntant, on a de quoi acheter. Il s’endort d’autant plus qu’on lui serine que tout cela fait du PIB, de la croissance et une prétendue richesse à partager avec la Terre entière. C’est tellement plus agréable que de travailler pour fabriquer et pour gagner l’argent nécessaire aux achats.

Pour comprendre que les services n’ont de vraie utilité qu’au service de la production et que le service de la personne physique est un agrément qu’il faut savoir accueillir avec modération.

Pour comprendre que le but de l’éducation n’est pas de trouver un emploi et donc un employeur mais de prendre conscience de là où l’on pourrait être le plus utile au groupe et y aller pour être véritablement attendu et donc accueilli.

Pour comprendre que la politique ne devrait pas être la lutte égoïste et âpre pour les places mais le travail difficile et altruiste qu’est l’affrontement des problèmes. L’un des premiers problèmes à affronter est la sanctification du mot démocratie qui se présente comme étant l’avis majoritaire de la foule, après que l’on ait dogmatiquement réputé cet avis comme étant forcément intelligent.

Pour comprendre qu’il pourrait y avoir une communauté européenne si quelques pays décidaient de s’unir par une harmonie sociale et fiscale en renonçant à la fausse Europe actuelle où 28 égoïsmes veulent faire payer les 27 autres en manœuvrant sur les différences fiscales et sociales et en faisant souvent semblant d’avoir une monnaie commune

Pour comprendre que la guerre résout instantanément tous les problèmes de fond et que penser l’éviter en admirant notre immobilisme est probablement aussi à courte vue que croire que la croissance peut réduire le chômage. Le seule façon d’éviter la guerre est de ne pas la laisser être la seule solution.

En courage

Pour bouger et voir comment, par l’action, par la réflexion ou par l’échange, chacun d’entre nous peut être concrètement utile au sortir de la léthargie générale.

Pour refuser de rejoindre la grande cohorte de ceux qui attendent pour bouger que les évènements les y forcent.

Pour entendre le fameux Lekh Lekha ( Va vers toi-même) que Dieu ordonna à Abraham.

En humilité

Pour savoir nous limiter à nos propres problèmes. Ils sont tellement énormes que, pour ne pas les affronter, nous nous laissons facilement distraire par le sort des femmes en Afghanistan, celui des chrétiens en Centrafrique, celui d’on ne sait plus qui en Syrie, celui du Mali qui n’existe que par un regroupement disparate imaginé par le colonisateur ou encore par les élucubrations égocentriques d’un quelconque satrape comme Bernard-Henri Levy.

Pour ne pas traiter par le mépris ceux qui veulent différencier le protectionnisme et l’autarcie et qui n’attendent du protectionnisme qu’une concurrence libre et non faussée nous permettant d’affronter nos propre problèmes sans y surajouter ceux des autres mais sans attendre les solutions de l’extérieur comme le font lâchement les tenants du libre échange.

Puissent les dieux nous entendre, nous éclairer et nous transformer !

Bonne année 2014

La lumière du premier jour

Dans la Bible, au début de la Genèse, aussitôt après le positionnement de la Verticale appelée le ciel et la terre : Dieu dit « Que la Lumière soit » et la Lumière fut. Dieu vit que la Lumière était bonne. Dieu sépara la lumière de la ténèbre. Dieu appela la lumière « jour » et la ténèbre il l’appela « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin. Premier jour (traduction œcuménique de la Bible).

Les livres sacrés (Védas, Bible, Coran) parlent tous par interdits, par entredits. Comme dans les mythes, dans les contes, dans les légendes, dans les songes ou dans les paraboles, on y raconte des histoires dont la lecture au premier degré est sans intérêt puisque ce qui est raconté n’est que l’enveloppe de l’essentiel. Ce qui est dit, est dit entre les mots. Rien n’est asséné. Tout est à découvrir par le travail. C’est notre liberté de ne pas comprendre et de passer notre chemin. C’est aussi notre liberté d’entendre ce qui est dit entre les mots, en entredits, en interdits.

Cette lumière du 1er jour est intéressante car le soleil et la lune, le grand et le petit luminaire, ne sont créés que le 4ème jour. Quelle est donc cette lumière du 1er jour qui n’est pas celle du soleil ni celle de la lune, cette lumière qui est à la fois bonne et séparée de la ténèbre mais qui peut disparaitre le soir pour réapparaitre au matin ? Quelle est cette énergie qui est bonne mais peut devenir mauvaise ? Quelle est cette énergie qui s’assombrit mais s’éclaire toujours à nouveau ?

Chacun donnera s’il le souhaite sa réponse. Pour moi il s’agit du monde de l’émotion, cette énergie présentée comme préexistante à tout, symbolisée indistinctement par les anges et les démons, cette énergie qui nous transporte et dont nous connaissons la force, le bon et le mauvais côté.

Nous maîtrisons de mieux en mieux la lumière du 4ème jour, celle du soleil qui sépare aussi la lumière de la ténèbre mais force est de constater que la gestion de nos émotions, la gestion de la lumière du 1er jour n’est pas au même niveau de maîtrise. L’amour, la haine, la peur, l’envie, la vanité et toutes ces émotions qui sont une énergie déterminante et souvent maîtresse de nos vies, nous mènent souvent par le bout du nez Elles sont symbolisées par le cœur, comme les besoins sont symbolisés par le ventre et comme la raison est symbolisée par la tête.

Dominer ses émotions, les maîtriser pour laisser la raison gouverner, étaient dans toutes les civilisations confiées aux religions qui faisaient réfléchir sans le dire sur notre rapport à la lumière du 1er jour en s’en servant et en s’en méfiant. Elles stimulaient l’humilité, le courage et le discernement. En Occident le matérialisme des trois idéologies du 20ème siècle s’est malheureusement associé à l’affadissement des clergés qui ont négligé la verticale de notre rapport à la lumière du 1er jour pour se contenter de l’horizontale en se dispersant au pays des bisounours. Devant l’affaiblissement du christianisme, et en attente d’une résurgence ou de l’entrée d’autres religions, ce sont les psys, quelle que soit leur désinence, qui ont pris en charge la gestion de nos émotions. Mais la diminution du champ observé et la vénalité de leur ministère, réduisent terriblement l’efficacité à long terme de leur action.

L’émotion est si complexe et si forte qu’il faut bien plus qu’une technique pour la dompter, la maitriser et s’en servir.

Ce n’est qu’une harmonie entre le collectif, l’individuel et le sacré qui peut nous aider à avancer vers la maitrise de nos émotions; tout ce que le XXème siècle nous a fait provisoirement oublier. A nous de la redécouvrir.

Hors-la-loi

Quiconque s’intéresse aux anglo-saxons connait leur tradition des « outlaw », des hors la loi.

C’était le cas de Hereward qui a servi de modèle à Robin des Bois; cela a aussi été le cas de Butch Cassidy, de Billy the Kid, de Bonnie and Clyde, de Dillinger et de tant d’autres comme les Dalton au XIXème et au XXème siècle.

Le principe est simple. Si vous ne respectez pas la loi du groupe, la loi du groupe ne vous protège plus.

C’est tout le principe d’un rapport symétrique entre l’individu et la société qui est posé par le principe du hors-la-loi.

Dans une société harmonieuse ce rapport symétrique peut être connu et appliqué car il y a peu de lois et elles sont toutes des protections du groupe. Si quelqu’un les transgresse et assassine ou vole avec une arme, il n’est plus protégé par la loi qu’il a volontairement bafoué.

Dans notre société où la moindre émotion médiatique entraîne la création d’une loi, plus personne ne connait les lois sauf peut-être quelques rares professeurs de droit, et encore uniquement dans leur spécialité. Le groupe n’a plus de lois connues comme limites, n’a plus la monnaie comprise comme énergie sociale et il mélange allègrement la vraie égalité qu’est l’interdépendance dans le respect de l’autre, avec l’identité qui est mépris de tous par le « je ne veux voir qu’une tête » qui veut dire en réalité « je ne veux voir que de bons électeurs ». Le groupe n’ayant plus ni énergie reconnue, ni limites connues, ni harmonie, se délite et la loi ne protège plus que les rusés et l’argent devient de la fausse monnaie.

Un hors-la-loi qui braque une banque et s’enfuit avec son butin peut-être abattu avec félicitations du groupe. Est-ce bien ? Est-ce mal ? La question est posée. Pour y répondre il faudrait déjà savoir à quel groupe nous appartenons.

Faire-croire, gigantisme et immédiateté structurent notre aveuglement

Une des questions les plus intéressantes aujourd’hui est de comprendre comment toutes les intelligences mondiales qui ont accès aux médias en sont réduites à prier pour que la croissance revienne, « aller la chercher là où elle se trouve », « l’accueillir quand elle reviendra », « aller la chercher avec les dents » ou autres fadaises médiatiquement relayées avec l’éternelle ritournelle, droites et gauches confondues : « Sans croissance rien n’est possible ». Mais que fait donc Dieu ?

Je ne crois pas qu’il faille accuser les dirigeants de sottise ou de turpitude. Ils sont simplement coincés dans un système impossible dont personne ne peut sortir sans un bouleversement qui fait peur. Pour reporter l’inéluctable affrontement à la réalité, on fait croire avec la propagande efficace des medias que l’avis majoritaire de la foule est le discernement. On fait croire que l’accumulation des connaissances, et surtout leur spécialisation, donne accès à l’autonomie. Et on fait croire que les richesses à se partager n’arrêtent pas de s’accumuler par la croissance qui serait la montée normalement permanente d’un mystérieux PIB qui est une dépense à financer et non un produit à se partager.

Pour arriver à faire croire simultanément à toutes ces sornettes, nous avons fait sauter le bon sens des économies d’échelle par le gigantisme et nous faisons croire au concret de ces balivernes par l’immédiateté.

Le gigantisme a fait sauter les deux filtres de l’expérience et du discernement. Comme il n’est pas à taille humaine, personne n’en a l’expérience et l’histoire ne nous en apprend rien ; et comme nos sens sont limités dans l’espace nous n’en avons pas la perception personnelle qui nous permettrait d’utiliser notre discernement. La perception est sous traitée aux médias et le discernement aux experts, ces deux entités ne cherchant qu’à être reconnues. C’est la base du gigantisme de toutes les idéologies qui sans lui ne pourraient prospérer. Il est aussi le support discret de l’esclavagisme actuel dans l’espace qui nous permet de ne pas voir ce qui est loin quand les médias ne nous l’apportent pas dans notre salon. Le mondialisme et la globalisation sont le gigantisme actuel.

L’immédiateté est portée par la constatation indéniable que sur un plan matériel nous vivons mieux que nos grands-parents. La vie apparemment plus facile nous empêche de voir que le prix en est notre propre esclavage dans le temps que constitue le prêt à intérêt condamné par toutes les sagesses mais base du système financier actuel. Nous savons tous que tout se complique chaque jour davantage, que les mots de productivité et d’austérité sont les seules planches de salut dérisoires qu’ont trouvé nos dirigeants pour rester en place un peu plus longtemps mais il est tellement agréable de ne pas ouvrir les yeux et de rester pour l’instant bien au chaud dans un présent qui ne peut pas durer. Nous préférons tous attendre en rêvant que la tempête nous épargnera.

Là encore la guerre est le seul moyen efficace hors l’intelligence pour casser ces deux mauvais jouets. Quelle génération sera la première à vraiment préférer l’intelligence ?

Thomas Jefferson

Combien de Français connaissent-ils Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, dont la tête est sculptée  avec celles de George Washington, d’Abraham Lincoln et de Théodore Roosevelt au Mont Rushmore dans le Dakota du sud, lieu où Hitchcock tourna la séquence finale de North by Northwest (La Mort aux trousses) ? Son portrait figure sur les billets de 2 dollars et les pièces de 5 cents. Rédacteur principal de la déclaration d’indépendance on le surnommait « Le Sage de Monticello », nom de sa propriété en Virginie ou l’intraduisible « Man of the People ».

Il a écrit sur la liberté : « Le prix de la liberté c’est la vigilance éternelle » et, sans connaitre les limitations de vitesse, il disait déjà : « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre ».

Il gardait un esprit rebelle qui remettait avec bon sens les choses à leurs places : « Une petite rébellion de temps en temps, c’est comme un orage qui purifie l’atmosphère » mais il faisait la part des choses : « Pour les questions de style, nage avec le courant mais sur les questions de principe, sois solide comme le roc » ou « Se révolter contre la tyrannie c’est obéir à Dieu ».

Il ne craignait pas de dire ce qu’il pensait des médias : « Un homme qui ne lit jamais est plus cultivé qu’un homme qui ne lit que les journaux ».

Il avait sur le système bancaire et sur l’emprunt un regard acéré. Il a écrit en 1816 :

« Je crois sincèrement que les institutions bancaires sont plus dangereuses que des armées entières prêtes au combat; et que le principe de dépenser de l’argent remboursable par la postérité, connu sous le nom de financement n’est rien d’autre qu’une escroquerie de l’avenir à grande échelle ».

Ce grand humaniste écrivait : « Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement ». Trouverait-il dans notre « un homme, une voix » tellement à la mode, une bonne application de son excellent principe ?

Et cerise sur le gâteau, il a dit : « Chaque homme de culture à deux patries : la sienne et la France ».

Qu’avons-nous fait de sa seconde patrie ? Et ne devons-nous pas réagir en travaillant une autre de ses phrases : « Le peuple est le seul sur lequel nous puissions compter pour préserver notre liberté » ?

 

La barque de Delphes

Petit à petit, les unes après les autres, toutes les planches de la barque ont été remplacées pour cause d’usure et, un jour, plus aucun élément d’origine ne subsiste. L’oracle de Delphes demandait au propriétaire de la barque si c’était toujours la même. Et bien sûr il répondait que oui.

Ainsi vont les peuples. Si le groupe n’est qu’un amas d’individus, il meurt à la mort des individus. Mais si le peuple s’appuie sur son histoire pour vivre au quotidien son économie, son éducation et sa politique avec un but qui le motive à le faire, alors il se prépare un futur.

Le « no future » tellement ravageur aujourd’hui ne viendrait-il pas d’un simple oubli de notre part ? N’aurions-nous pas oublié l’utilité de la barque ?

Sur quel bateau sommes-nous ?

Nous ne savons plus trop à quel saint nous vouer en sentant, anesthésiés, que notre bateau est en train de sombrer.

La définition du bateau et surtout son contour posent déjà problème. C’est un espace de solidarité, cohérent et sacré, que l’on nommait Patrie, la terre des pères, chez les partisans du droit du sang et Nation, la terre où l’on est né, chez les adeptes du droit du sol avant de tout mélanger.

Quel est aujourd’hui cet espace : la Terre, l’Europe, la France, la province, la région, la ville, le village, la famille ? Nous ne savons plus car la solidarité, la cohérence et le sacré se sont disloqués et leur rassemblement qu’est la fraternité a disparu pour des recherches disparates, ici de la solidarité, là de la cohérence, ailleurs encore du sacré. Comme si l’on pouvait les dissocier ! Seuls semblent l’avoir compris le judaïsme en Israël et l’islam partout où il est vivant. En Asie le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme, tous trois nés au 6ème siècle avant JC et admirablement complémentaires, ont pourtant du mal à s’enrichir mutuellement et seul le bouddhisme a percé en occident car il est équilibrage personnel de notre individualisme triomphant. Quant au christianisme, habillage européen de la sagesse universelle, il décline inexorablement comme les corps qu’il habille en ne défendant plus qu’une solidarité assez hypocrite. Le christianisme recule en ne comprenant pas que, si l’on peut être solidaire d’un bloc de béton, on ne peut lui être fraternel car il manque les deux liens de la cohérence et du sacré.

La solidarité tellement à la mode aujourd’hui et l’éternelle repentance sont les mortifications que nous nous imposons pour nous cacher ou pour oublier notre incapacité à nous réveiller et notre plaisir à rêver. Nous nous rejouons la scène 2 de l’acte II de Tartuffe en disant à qui veut l’entendre avec des mots plus modernes « serrez ma haire avec ma discipline ». La mortification est souvent le rempart sécurisant contre la honte de vivre l’inverse de ce que nous prônons. L’humanitaire libéral mondialiste ne va retrouver le concret que dans la limite de sa famille survalorisée et le théoricien des erreurs du système ne va survivre qu’en utilisant le système qu’il exècre.

 Commençons, avant d’aborder nos contradictions, à nous demander avec qui le faire. Sur quel espace voulons-nous construire ? Savoir que c’est l’espace sur lequel nous serons capables de combiner la cohérence, la solidarité et le sacré pourrait nous être utile.