L’incantation et le mépris

L’un des aspects les plus surprenants de notre élite actuelle, tous Sarkozy et Hollande confondus, est la contradiction dans laquelle elle s’empêtre chaque jour davantage à propos de l’emploi. Le dernier exemple en est la délocalisation des centres d’appels au Maroc décidée par le socialiste Huchon de la région Ile de France mais condamnée par le ministre socialiste Montebourg qui défend « le protectionnisme, position de toutes les grandes nations ». François Hollande, lui, ne veut pas faire de « surenchère protectionniste » et confirme que « les règles ont été respectées ». Il est malheureusement vrai que nous avons légiféré pour accepter les règles aberrantes de l’OMC et que l’article 6 du code des marchés publics interdit de privilégier une provenance : « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’une provenance ou origine déterminée ».

Nous nous sommes interdit de privilégier la France ou l’Europe !!!

Quant au ministre du travail, ancien ministre des finances, Michel Sapin, il se demande, sans bien sûr y répondre, comment « sans rentrer dans une sorte de protectionnisme imbécile » faire produire en France « les entreprises qui travaillent à la suite des marchés publics » ! Pour garder de l’emploi en France, est-ce vraiment imbécile de privilégier la provenance de France ?

Pour préserver nos avantages dans ces temps volontairement imbéciles, et bien qu’ils aient été acquis à des périodes où nous produisions nous-mêmes ce que nous consommions, nous sommes obligés de réinventer l’esclavage sous une double forme : esclavage dans l’espace en faisant travailler au loin, des hommes, des femmes et des enfants en ne nous intéressant ni à leurs salaires, ni à leur protection sociale, ni à leur culture ; esclavage dans le temps en accueillant la servitude volontaire des échéances bancaires totalement aléatoires sur 15 ans pour avoir l’apparence de la possession immédiate de ce dont nous rêvons. Pour ne surtout pas le voir, nous réduisons stupidement l’esclavage à la traite des noirs et créons même une journée nationale annuelle pour fêter son abolition !

Mais le clergé capitaliste est beaucoup plus rusé que ses prédécesseurs fasciste et communiste et il a compris qu’il fallait plaire et tout habiller de bons sentiments. On peut réinventer l’esclavage à la condition de se convaincre soi-même que l’esclavage est immonde et que nous y sommes tous fondamentalement opposés. Nous en convaincre et nous le répéter inlassablement à la méthode Coué.

Cela permet de ne pas se poser la question essentielle : « Pourquoi vivons-nous au-dessus de nos moyens ? ». Là encore nous allons décréter que nous sommes un pays riche « qui n’a jamais été aussi riche » comme dit Mélenchon et nous allons aussi générer des fortunes individuelles indécentes car elles permettent à notre élite actuelle de ne pas nous dire que nous vivons en moyenne au-dessus de nos moyens. Plaire ou conduire, il faut choisir et ils ont décidé de plaire ce qui nous conduit dans le mur.

La seule façon de réagir est le protectionnisme qui fera bondir les prix mais qui nous mettra en face de nous-mêmes, en face de notre propre réalité, celle que notre élite actuelle veut tellement nous cacher pour garder le pouvoir.
Au lieu de nous mettre en face de nous-mêmes et de compter sur notre intelligence pour surmonter nos contradictions, ceux qui continuent à se croire notre aristocratie (gouvernement par l’élite en grec) préfèrent mépriser avec dédain le protectionnisme indispensable et se lancer dans des incantations dérisoires pour que Dieu nous envoie enfin la croissance.

La richesse n’est qu’un regard

Le XXème siècle, a été le siècle du triomphe éphémère des trois idéologies fasciste, communiste et capitaliste. Il nous a habitués à tout chiffrer car le chiffre, la plupart du temps asséné et invérifiable, donne un vernis scientifique et coupe court à toute discussion. Les politiques sont passés maîtres dans l’art de jouer avec les chiffres. Ils se lancent avec talent  dans ces fameuses batailles de chiffres qui feraient presque croire à leur sérieux.

Si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme et arrête la réflexion. C’est probablement la raison pour laquelle les idéologies aiment tout chiffrer.

L’exemple de la richesse est révélateur. Nous savons que riche vient du mot franc rikki qui veut dire pouvoir et le pouvoir se chiffre mal. J’ai souvent pris l’exemple du crottin de cheval qui est richesse pour le jardinier, déchet pour le cheval et encombrement pour le promeneur. Nous pouvons prendre aussi l’oxygène, excrétion du règne végétal et richesse du règne animal. L’antiquaire, le brocanteur ou le ferrailleur ne ramassent-ils pas les déchets et les encombrements des uns pour les proposer comme richesses aux autres ? Le siècle des grandes découvertes a enrichi l’Occident de métaux précieux, d’épices et de tissus admirables que nos ancêtres échangeaient contre ce qu’ils appelaient de la pacotille. Ils souriaient de la naïveté de leurs partenaires … qui devaient en faire autant ! Une maison construite sans permis sur un littoral corse est-elle une richesse, un encombrement ou un déchet à faire disparaitre ?

La richesse n’est qu’un regard et le triple drame économique du capitalisme est d’avoir voulu la chiffrer, la croire universelle et la décréter objective.

L’incroyable imbécilité du PIB qui additionne nos dépenses pour nous les présenter comme des richesses, est stupéfiante dans tous les sens du terme. L’INSEE qui tente de calculer le PIB ne se demande même pas si ces dépenses sont utiles ou stupides, si elles sont faites avec de l’argent économisé ou de l’argent emprunté. Nous dépensons donc nous sommes riches et il faut dépenser toujours davantage. On fait la même croissance en dépensant l’argent des autres grâce à l’exportation comme l’Allemagne ou en dépensant un argent que l’on emprunte pour acheter ce que l’on importe comme la France.

Faut-il vraiment parler de crise ? Ne faudrait-il pas mieux constater le chant du cygne d’une idéologie qui ne cherche même plus à s’expliquer ? Comme l’ont fait avant elle ses grandes sœurs, les idéologies fasciste et communiste, l’idéologie capitaliste recule les échéances de son déclin en envoyant toujours davantage son clergé dans les médias pour séduire et en alourdissant en permanence  le fardeau qu’elle fait supporter au peuple par, au choix, la dévaluation, la hausse des prix ou le chômage.

Le cycle politique

Il y a 5 ans en 2007, j’avais écrit « Le quadrige des fées » et en le retrouvant j’observe avec tristesse que je pourrais le réécrire aujourd’hui sans en changer un mot. Toute la classe dirigeante dit aujourd’hui qu’en 2007 personne ne pouvait prévoir les problèmes actuels. C’était l’époque où l’on était si fier qu’un Sarkozy vienne enfin faire bouger les lignes. J’ai envie de reproposer mon article quand un Hollande vient enfin faire bouger les lignes. Je pense le reproposer dans 5 ans à un Copé ou à un Valls quand il viendra enfin faire bouger les lignes si la grande violence ne l’a pas fait avant.

Le quadrige des fées

Si j’entends bien les médias il y a unanimité pour aller chercher la croissance qui nous manque, et investir massivement dans la recherche et dans la formation pour rentrer enfin dans la culture de l’innovation et répondre ainsi aux défis de notre temps.

De plus grâce au traité simplifié, nous allons redonner force à l’Europe dont nous avons tellement besoin pour peser, face aux poids lourds mondiaux, présents et futurs.

La droite comme la gauche, le gouvernement comme l’opposition, le patronat comme les syndicats, le public comme le privé, les acteurs comme leurs détracteurs ne se différencient que sur la façon de faire venir la croissance, de construire l’Europe, d’investir dans la formation et de ne pas lésiner sur la recherche. J’ai beau écouter de toutes mes oreilles je n’entends rien d’autre pour nous sortir de ce que quelques fous continuent à appeler notre déclin.

Tout va aller mieux grâce à ce quadruple moteur qui va nous emmener vers demain. Personne ne conteste que la croissance, la formation, la recherche et l’Europe soient les propulseurs de notre succès futur, le quadrige qui nous mènera vers un demain prometteur. On ne se bat que pour diriger ce quadrige, que pour en être l’aurige.

Mais alors pourquoi toute une génération de quadras qui se sent sacrifiée par la génération soixante-huitarde, prépare-t-elle ses enfants à quitter la France ? Mais pourquoi donc ceux qui ne peuvent ou ne veulent la quitter se replient-ils sur le monde associatif et sur leur quotidien en s’évadant dès que possible dans les week-ends, les antidépresseurs ou la première coupe du monde venue ? Pourquoi les quelques-uns qui tentent de bouger, patinent-ils en niant même leur sur-place qu’ils ne comprennent pas ?

Ces quatre moteurs pourraient-ils être de simples fées dont les baguettes entrecroisées soutiendraient nos dirigeants comme la corde soutient le pendu ? La croissance, la formation, la recherche et l’Europe sont-elles des fées Mélusine ou des fées Carabosse ?

La première fée à implorer est la croissance que personne ne définit autrement que comme l’augmentation des richesses ou du PIB et dont il nous manquerait le point que notre Président va aller chercher avec les dents.

Il est dommage que personne n’ait envie de voir qu’entre une richesse, un encombrement et un déchet, il n’y a qu’une différence de regard. Un déchet et une richesse ne se différencient que par la subjectivité qui les regarde. Le jardinier, le cheval et le promeneur ne voient pas le crottin de la même manière. Richesse de l’un, déchet de l’autre, encombrement du troisième.

Qui ose dire que le PIB est une imbécillité qui ne veut rigoureusement rien dire sinon qu’il bouge chaque fois que l’on dépense de l’argent ? Personne n’a envie de voir que la croissance n’est que la dépense et que nous y mélangeons indistinctement les consommations intelligentes et les destructions stupides, les investissements judicieux et ceux qui sont absurdes, les créations de richesses et les créations de déchets. Sous prétexte que certaines dépenses sont utiles et donnent vraiment des fruits, ils en ont tous conclu que toute dépense est porteuse de fruits. Comme nous ne savons plus discerner collectivement ce qu’est une dépense intelligente d’une dépense stupide, nous glissons tout naturellement vers l’augmentation des dépenses stupides qui font autant de croissance que les dépenses intelligentes qui sont par nature plus difficiles à mettre en place.

Les politiques aiment la croissance car elle donne des emplois, enrichit l’Etat et évite les questions difficiles sur les dépenses à faire et celles à éviter. A force de s’entredéchirer sur la consommation ou l’investissement qui sont deux dépenses, tout le monde se moque de savoir qui paie la croissance. Détruisons les maisons que nous venons de construire et nous ferons de la croissance. Envoyons un Erika par semaine sur nos côtes et nous ferons de la croissance. Augmentons le prix du tabac et les accidents de la route et nous ferons de la croissance. Arrêtons de nous promener en famille en forêt et allons au cinéma, au restaurant ou devant une télévision et nous ferons de la croissance. Achetons notre vie au lieu de la construire et nous ferons de la croissance.

Alors que nous attendons tous les fruits de la croissance comme la manne divine, la question non posée est : qui la paie ? Comme l’augmentation du PIB est l’augmentation de la partie achetée de notre vie, on comprend mieux, en attendant Godot, la montée sans fin des emprunts des ménages, des entreprises et des Etats.

La formation est la seconde fée qu’il est bon de révérer. Ses lévites sont les enseignants qui vont nous fabriquer des hommes et des femmes tellement diplômés que la terre entière va nous acheter très cher ces êtres d’exception que seule la France sait produire.

La difficulté, c’est que toute la formation académique n’est fondée que sur la régurgitation des connaissances qui ramène à l’instruction publique, ce qui n’a jamais été que dans les mots l’Education Nationale.

L’Education Nationale répond admirablement au problème du XIXème siècle qui était le manque de connaissances mais ne s’intéresse pas au discernement qui est le problème du XXIème siècle. Les formateurs sont aussi ces démiurges de la formation qui vont transformer tous les « laissés pour compte » de plus en plus nombreux de notre société, en actifs parfaitement adaptés à une société que l’on appelle « civile » depuis qu’on ne la comprend plus et que le militaire est sorti des esprits.

Mais dans les faits, sans l’harmonieux tissage entre l’amour ferme des parents, l’accompagnement puissant des entraîneurs, et l’enseignement rigoureux des professeurs, il n’y a pas d’éducation efficace, de formation raisonnable. Or tous ces adultes ignorent les lendemains vers lesquels ils sont supposés conduire.

Qui pourrait les taxer d’incompétence ? Les médias et l’administration qui nous gouvernent n’ont aucune vision. Personne ne peut dire où nous serons dans dix ans.
On a assassiné les entraîneurs après les avoir ridiculisés. Il n’y a plus de chefs scouts, d’adjudants de carrière, de moniteurs de colonies de vacances, de maîtres d’apprentissage pour accompagner le développement des êtres, leur épanouissement. Les familles se décomposent pour pouvoir se recomposer et l’amour ferme nécessaire à la croissance ne se trouve plus que dans des personnalités isolées et suspectées. On demande tout aux professeurs qui bien évidemment devraient être des génies pour ne pas tout rater. Nous formons des diplômés qui n’intéressent pas grand monde car il leur manque le discernement qui est la vraie rareté recherchée.

Une éducation nationale qui n’harmonise pas connaissance, expérience et discernement, ne mérite pas son nom et en tous cas, ne mènera pas loin. Malheureusement une école de discernement est un lieu clos, contradictoire et obligé où l’on se meule les uns aux autres mais nous avons décidé que notre liberté était justement de pouvoir fuir les écoles de discernement.

La première fée doit nous apporter la manne et la deuxième va nous transformer d’une façon indolore. A deux, elles vont résoudre simultanément, de deux coups de baguettes magiques, les problèmes complexes de l’avoir et de l’être. Les deux dernières fées n’auront plus qu’à s’occuper du décor.

La troisième et la quatrième fée nous projettent dans le temps et dans l’espace, là où l’herbe est évidemment plus verte. Cette croyance en une amélioration sans effort par un simple changement de temps et de lieu est éternelle. En 1968 la mode était de prendre son sac et d’aller à Katmandou mais une fois sur place, en ouvrant son sac, chacun retrouvait évidemment ses problèmes.

La recherche nous emmène vers un beau lendemain et l’Europe nous construit un ailleurs merveilleux.

J’aimerais croire à l’efficacité de la recherche mais lorsqu’on voit des chercheurs chevronnés obligés d’émigrer outre atlantique pour continuer à travailler quand la France veut les mettre d’office à la retraite, comment ne pas être dubitatif ? Quand on voit les domaines de recherche du CNRS, de l’INSERM ou de l’INRA, comment ne pas être sceptique ? On ne cherche que pour trouver ce qui coûtera encore plus cher avec de moins en moins d’efforts.

J’aimerais croire à l’Europe que nous fabrique la Société Protectrice des Politiques mais il faut constater qu’ils l’ont abandonnée au début des années 70 en renonçant à 6 à une harmonisation fiscale et sociale qui seule pouvait être la colonne vertébrale de l’Europe. Ils ont tous préféré, pour ne pas affronter leur peuple, une Europe sans épine dorsale qui ne peut tenir qu’en s’étalant. L’Europe qu’on nous propose a comme seule constante de n’avoir aucune harmonisation fiscale et sociale. Elle peut s’étendre jusqu’à l’Irak, elle n’est qu’une juxtaposition d’égoïsmes qui veulent faire payer les autres. Comment faire une baignoire d’eau claire avec des bouteilles d’eau trouble ?

Ce quadrige onirique, ces quatre fées qui nous bercent ne nous aveuglent-elles pas au fond pour que nous ne prenions pas conscience du désastre dans lequel nous entraînons nos enfants. Cet aveuglement pour ne pas voir et ne pas avoir à affronter n’est pas nouveau. Il est en l’homme et était déjà décrit dans la Bible.

La Bible nous rapporte en effet que dans la ville de Sodome, les habitants « étaient mauvais, étaient des scélérats » (Gn 13-13). Ce côté mauvais des habitants de Sodome n’était-il pas simplement comme actuellement chez nous, la pensée dogmatique, la pensée unique dont ils voulaient que chacun soit pénétré ? Or les anges rendirent aveugles tous les habitants. « Ils frappèrent de cécité les gens ….. depuis le plus petit jusqu’au plus grand… » (Gn 19-11). L’histoire de Sodome nous rappelle que lorsque tout marche sur la tête, l’aveuglement général précède la grande violence et l’effondrement.

Pour ne reprendre que le siècle dernier, la Belle Epoque et le pacifisme dogmatique ont précédé la grande guerre, les Années Folles et la certitude que nous avions subi la « der des der » nous ont amenés à la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui l’optimisme public est de rigueur même si, en privé, tous les penseurs politiques expriment une vraie angoisse. La sortie du tunnel que nos dirigeants nous annoncent depuis si longtemps sans jamais nous y mener, doit s’atteindre d’après eux par le quadrige des fées car les vrais moyens sont trop difficiles pour être proposés au peuple.

Les vrais chemins sont pourtant connus mais ils sont tellement difficiles que par lâcheté on les répute impossibles, et que par vanité on les trouve ridicules.

Ridicule et impossible de faire comme le Brésil qui met 100% de droits de douane sur les produits importés alors qu’il n’y a aucun autre moyen durable de donner du travail à ceux qui le demandent et qui sont en droit de le demander ? Continuons à ne surtout pas nous protéger puisque nous ne pourrions plus vendre nos Ariane, nos Airbus, les intelligences que nos professeurs vont fabriquer par millions et nos inventions que nos chercheurs vont trouver par milliers grâce à l’argent que nous allons leur distribuer à tous. Ne tentons pas de convaincre notre peuple de consommer au prix où il est capable de fabriquer lui-même. N’affrontons ni les avantages acquis des salariés ni ceux des multinationales qu’elles appellent mondialisation. Continuons à délocaliser à tout va, on verra bien qui s’occupera de baisser le niveau de vie des Français ou de financer par l’emprunt celui de l’électeur consommateur téléspectateur, ce mouton vénéré que l’on appelle le public.

Ridicule et impossible de demander à l’Education Nationale de lever le pied sur la connaissance pour s’intéresser au discernement ? Le discernement est le domaine réservé des gouvernants qui savent comment sortir du tunnel, des médias qui savent ce que nous devons entendre et des inspecteurs généraux qui savent ce qu’il faut mettre dans les programmes et ce qu’il faut supprimer pour faire de la place aux nouvelles connaissances. Continuons à tresser des couronnes de laurier aux élèves et aux étudiants qui répètent fidèlement sans toujours bien comprendre, ce que les professeurs disent et qui ne comprendront pas, une fois diplômés, leur difficulté à trouver un emploi.

Ridicule et impossible de toucher au suffrage universel direct que l’on confond scandaleusement avec la démocratie alors qu’il induit naturellement la ploutocratie, le pouvoir aux riches ? Continuons à faire semblant de croire qu’en mettant cent personnes au milieu de la rue, nous découvrirons la vérité sur n’importe quel sujet par l’avis majoritaire sans vérifier préalablement la compétence et l’engagement des interviewés.

Ne serait-il pas temps de quitter l’âge de la croyance aux fées, de nous réveiller collectivement pour affronter avec humilité mais détermination les difficultés que nous n’aimons pas regarder ?

Il n’y a malheureusement pas d’autre moyen pour éviter la destruction de Sodome. Mais le quadrige des fées nous donne la possibilité de vivre agréablement en laissant les problèmes à nos enfants.
C’est une ministre de la République qui utilisait le terme « dégueulasse », non ?

Le cléricalisme économique

Pendant que la laïcité est très à la mode chez ceux qui veulent se justifier de ne croire en rien, il y a un cléricalisme qui triomphe, c’est le cléricalisme économique.

Un cléricalisme approuve l’intervention du clergé dans les affaires publiques et un clergé est une confrérie de gens partageant le même dogme et se donnant le pouvoir de le diffuser.

Mais la mode est de ne voir des clergés que dans les religions, et la laïcité se contente de tenir à égale distance christianisme, judaïsme et islam.

J’approuve les clergés quand ils nous rappellent que nous devons mourir à notre passé pour resurgir différents dans une construction nouvelle de nous-mêmes, fondée sur nos propres contradictions et sur une harmonie nouvelle dans le rapport aux autres et à ce qui nous dépasse tous. C’est le Hadith de Mahomet « Mourez avant de mourir », c’est le conseil de Jésus à Nicodème « Il te faut naître de nouveau », c’est l’observation du Talmud qu’« un converti est comme un nouveau-né »

Mais je deviens très anticlérical quand j’observe des clergés qui ne cherchent qu’à rassurer ou à faire peur pour assurer leur fond de commerce. Ils entraînent leurs ouailles vers un obscurantisme qui n’est là que pour donner une raison d’être à ces clergés inutiles et dangereux.

Le clergé économique actuel est dangereux car, comme toujours, son dogme fondateur ne supporte pas la contradiction. S’il n’envoie plus au bûcher comme ses prédécesseurs de l’Inquisition, il sait enlever la parole à quiconque envisage qu’il ait tort. Ce dogme, rentré dans les cerveaux à la méthode Coué, est : « Au début était le troc et un jour c’est devenu trop compliqué et on a inventé la monnaie ». Ce clergé est monothéiste avec son dieu, « la » croissance et son diable, « la » crise. Il veut faire revenir son dieu pour chasser Belzébuth. Il est au Collège de France, à la tête de l’OMC; il a investi les universités occidentales, les classes politiques, les gouvernements et les médias qui veillent à ce que le dogme règne sans partage et ne soit pas dérangé.

Vous aurez beau dire qu’au début était peut-être l’échange des êtres plutôt que l’échange des avoirs, le clergé veillera à ce que vous ne soyez pas entendu.
Vous susurrerez qu’il y avait peut-être au début une raison d’être ensemble, un lien social,  qui a précédé les soucis d’intendance, le clergé vous fera taire.
Vous expliquerez que l’argent est de l’énergie humaine stockée et qu’on ne peut en fabriquer qu’en se multipliant ou en créant ce que le groupe pense être des richesses. Le clergé vous regardera de haut.
Vous montrerez que le prêt à intérêt est un impôt que le peuple paye aux banques par la dévaluation et la hausse des prix, le clergé commencera à travailler à votre perte.
Vous proposerez que l’énergie humaine stockée qu’est l’argent se marie à l’énergie humaine vive qu’est le travail pour faire ensemble des aventures qu’on appelle entreprises, le clergé fabriquera deux codes excessifs et contradictoires qu’il appellera code de commerce et code du travail pour être deux boulets entravant toute action.
Vous expliquerez que la croissance c’est la dépense et que dépenser de l’argent emprunté en disant financer la croissance, c’est stupide et cela donne la crise, le clergé vous fera ignorer car il entr’apercevra sa propre perte.
Pour tenir encore un peu de temps le clergé, unanime, combat le protectionnisme qui nous relierait les uns aux autres et à la vérité. C’est d’ailleurs comme cela qu’on reconnaît les membres de ce clergé.

Gambetta disait : « Le cléricalisme ? voila l’ennemi ! ». Vive Gambetta !