François Guizot, Président du Conseil de Louis-Philippe est célèbre pour sa phrase « Enrichissez-vous » dont il ne faut pas oublier la suite « par le travail, par l’épargne et la probité ». Mais à une époque où la cohérence était encore obligatoire nous n’avons pas envie de nous souvenir que le même a répondu à la Chambre, au Docteur Villermé qui avait publié un « Rapport sur la santé des ouvriers des manufactures » et qui demandait, que le travail des enfants de moins de 8 ans soit limité à 15 heures par jour, « Monsieur, vous voulez nous faire une génération de paresseux !».
Aujourd’hui nous avons sacrifié la cohérence sur l’autel de notre intelligence et nous croyons possible de nous enrichir en prenant entre 25 et 60 ans notre juste part des richesses créées et en mettant nos gouvernants successifs dans l’obligation de résoudre la quadrature du cercle : réaliser leur promesse de campagne de rendre possible ce qui ne l‘est rigoureusement pas. Il est triste de les voir s’effondrer les uns après les autres en se cassant les dents sans même réaliser qu’ils deviennent eux-mêmes les « sans-dents » de l’esprit.
La richesse n’est qu’un regard sur ce qui est désirable et chaque civilisation la concrétise à sa manière. Amadou Toumani Touré, l’ancien Président du Mali, disait de son pays que nous disons pauvre « Nous sommes riches de la famille ». Ce qui est désirable est ce qui est, soit beau, soit bon, soit les deux, et chacun sait que « des goûts et des couleurs, on ne discute pas ». Chaque civilisation définit sa richesse et c’est la différence des regards qui peut engendrer le troc, ancêtre encore équilibré du commerce extérieur.
Nous oublions trop facilement qu’une civilisation n’existe au départ que par son approche de ce qu’elle voit comme beau, ce qu’elle voit comme bien et ce qu’elle voit comme vrai. Elle se construit sur les trois critères fondamentaux de justice, de richesse et de pureté, critères que chaque civilisation voit comme universels, ce qui est à la fois indispensable pour qu’elle puisse se construire et évidemment faux car irrespectueux du regard des autres. Les médias mondialisés sont incapables de gérer cette contradiction et de comprendre l’intérêt du mythe de la tour de Babel où Dieu sépare les civilisations. La justice d’une civilisation est sa recherche conjointe de sa vérité et de ce qui est conforme à ses mœurs du moment. Sa pureté ou sa clarté, souvent sous-traitée à sa religion, est la sacralisation de ses critères avec souvent le désir dangereux de les imposer au monde tellement elle les voit comme évidents.
Mais par un aveuglement collectif fascinant, alors que personne ne va imaginer fabriquer de la justice ou construire de la pureté, nous avons décidé que nous pouvions créer de la richesse et que c’était ce que faisaient les entreprises. Le seul sujet devient le partage de la richesse créée, avec les deux tendances étouffantes de ceux qui disent que la lourdeur de l’État freine cette création imaginaire, et de ceux qui hurlent à l’accaparement par des canailles de cette richesse toujours aussi imaginaire. Cette création de richesse devient le but et le sens de la vie, rendant sans utilité les religions sauf dans le cas où elles sont conquérantes ou utiles au bien-être individuel du moment comme l’est parait-il le jogging.
Comment cela est-il possible ? Deux voies sont utilisées, l’une intellectuelle, l’autre pragmatique.
La voie intellectuelle est de raisonner juste sur la base fausse de la valeur ajoutée des entreprises. Ces raisonnements refusent obstinément l’évidence qu’une entreprise ne fait de la valeur ajoutée qu’en retranchant une valeur plus importante dans le portefeuille de ses clients. C’est l’appauvrissement volontaire du client en monnaie qui donne sa valeur à la production de l’entreprise.
La voie pragmatique est de constater que nous vivons plus agréablement que les générations précédentes et de se contenter d’en voir tout simplement la cause dans le progrès, la recherche et l’innovation alors que la cause première en est la montée exponentielle de la dette, tant pour payer la recherche et les innovations que pour faire croire en les achetant que ce sont des richesses.
Dans une même civilisation il est impossible de s’enrichir sans appauvrir quelqu’un d’autre et la seule question est de savoir si l’appauvrissement nécessaire est volontaire ou discrètement imposé. Il est évidemment imposé par une longue chaine quand un jeune énarque s’enrichit de millions d’euros dans une banque et inconsciemment tout le monde le sait. Et même quand l’appauvrissement est évidemment volontaire comme lorsque nous achetons un livre, un billet pour un match ou un concert, il faut se demander si l’argent dépensé n’est pas de la fausse monnaie trop facilement acquise.
Nous constatons que les impôts montent, que les gens utiles perdent du pouvoir d’achat, ce qui les force à faire travailler leurs femmes qui n’ont plus le temps de faire des enfants que nous faisons faire par l’immigration. Tout est lié. Ceux qui produisent vraiment ce qui est utile devraient être beaucoup mieux payés, chaque Français devrait être utilisé pour le bien commun par ce qu’il sait faire. La notion même de chômage est un aveu de l’incompétence de la collectivité à utiliser ceux dont les entreprises n’ont pas besoin. Mais l’immense cohorte devenue majoritaire est constituée des chômeurs, des étudiants, des retraités et de ceux de plus en plus nombreux qui sont payés à trouver sans espoir une solution à la quadrature du cercle via la parité, la recherche, les politiques, les médias, les luttes contre tous ceux qui freineraient la solution miracle et qui sont bien souvent les derniers détenteurs du bon sens. Cette immense cohorte coûte tellement cher qu’il faut ponctionner par tous les bouts les malheureux qui sont encore efficaces, moins les payer, leur vendre plus cher et comme ils râlent, créer toujours plus de monnaie pour qu’ils disparaissent un tout petit peu moins vite.
Quelle que soit la voie c’est la monnaie qui fausse tout et qui permet à la cohérence de ne plus être obligatoire. Avoir perdu la conscience que la monnaie n’est qu’une créance sur le groupe qui utilise cette monnaie et que cette créance doit avoir une raison d’être, une vraie cause, permet de croire à la création de richesse puisqu’il suffit de fabriquer de la monnaie pour permettre aux entreprises de faire de la valeur ajoutée et aux citoyens de vivre mieux que leurs grands-parents.
En attendant l’explosion inéluctable, observons la combustion de ce système, l’échappement indispensable sous forme d’épanchement que les gilets jaunes expriment aujourd’hui et la compression que l’État envisage aujourd’hui sous forme de répression. Le moteur à quatre temps fonctionne bien.