Gloire au travail

Il y a une contradiction apparemment insurmontable entre l’affirmation souvent énoncée ici qu’il n’y a pas de création annuelle de richesses et l’observation apparemment indiscutable que depuis l’époque de l’homme de Cro-Magnon une multitude de richesses a été créée par les hommes.

Les tenants de la création annuelle de richesse la chiffrent même par le PIB et souhaitent son augmentation par ce qu’ils appellent la croissance économique.

Mais la richesse n’est qu’une façon de regarder et si elle est richesse pour les uns, elle est embarras pour d’autres et même rebuts pour certains. Cela est vrai dans l’espace mais aussi dans le temps. Si en Hollande de 1634 à 1637, le prix d’un bulbe  de tulipe valait 15 ans de salaire d’un maçon, le prix d’une maison ou d’un carrosse avec ses deux chevaux , il vaut aujourd’hui 6 euros la douzaine. Un lieu de vie qui aurait été conservé en Europe dans l’état où il était à l’époque de Néanderthal serait aujourd’hui par sa rareté et sa tranquillité hors de prix et réservé à quelque émir ou oligarque. La sculpture « dirty corner » qu’Anish Kapoor a créée à Milan et déposée dans les jardins du château de Versailles est sûrement une richesse aux yeux des organisateurs de l’exposition, sûrement un déchet aux yeux de ceux qui l’ont surnommée « Le vagin de la reine » et probablement un encombrant et une gêne pour tous ceux qui venaient voir Versailles pour remonter le temps. Si le Pont du Gard est une richesse aujourd’hui, était-il à sa construction autre chose qu’un élément de voirie pour approvisionner Nîmes en eau ? 

C’est notre regard individuel qui différencie ce qui à nos yeux est précieux et ce qui peut partir à la poubelle. Ce qui nous est précieux nous est richesse mais n’est qu’une richesse individuelle. La richesse collective est beaucoup plus difficile à appréhender car elle appelle deux questions : quel collectif ? et qu’est-ce qu’un regard collectif ?

La doxa « attalienne mincienne et BHLienne », relayée par les médias, nous dit que le collectif est le monde qu’il baptise, comme s’il n’y en avait qu’une, « la planète » par un égocentrisme très révélateur. Cette doxa affirme que si les espèces animales ont le droit d’avoir des races de chiens, de poules ou de chevaux, l’espèce humaine, elle, n’a plus de races et qu’il faut même supprimer le mot des dictionnaires. Cette doxa pateline et mielleuse veut imposer sa morale et sa vision à toute l’humanité en pensant trouver dans la fuite en avant la réponse à l’échec qu’ils ont tous eu chez nous. Cette volonté de mondialisation du collectif entraîne bien évidemment des réactions violentes de gens que l’on appellera terroristes pour ne pas se compliquer la vie. Cette doxa, constatant que la communication s’était mondialisée, en a déduit complètement à tort qu’il en était de même pour la réflexion et l’action.

Une autre doxa, politicienne celle-là, nous dit que le collectif est européen. cette doxa-là veut appliquer à l’Europe toutes les recettes qui ont échoué individuellement dans chaque pays. Pour cette fuite en avant,  les politiques ont un besoin vital de l’euro, cet outil mort-né qu’ils momifient au lieu de l’enterrer. Ils se réunifient tous, ceux qui veulent dépenser plus pour dépenser moins comme ceux qui veulent dépenser moins pour dépenser plus, tous unis pour sauver l’euro, leur Europe et surtout eux-mêmes. Tous unis contre ceux qui veulent retrouver un collectif qui a déjà fait ses preuves, la nation ou la patrie.

Quant au regard collectif sur une chose, c’est son prix car seule la monnaie est reconnue par tous comme une richesse. Si des membres du groupe acceptent de s’appauvrir en monnaie en l’échangeant contre une chose ou un service, alors cette chose ou ce service qui n’était qu’une production est reconnue par le groupe comme une richesse, au moins à un moment donné et en un lieu donné.

Malheureusement depuis bientôt 50 ans nous fabriquons par la dette de la fausse monnaie qui casse tous les équilibres. Les productions sont réputées être des richesses alors qu’elles ne sont en réalité qu’encombrements ou déchets, par le simple fait qu’elles sont achetées avec de la monnaie obtenue sans efforts par l’emprunt . Il est plus facile d’emprunter à la banque de l’argent qui n’existe pas, que de travailler à la sueur de son front. Il est plus facile d’importer des marchandises que de les fabriquer en travaillant. Comme cela fait exactement le même PIB, les observateurs sont contents et on a simplement remplacé le travail par la dette qui monte, qui monte, qui monte…..

La montée des machines est un exemple intéressant de la perversité de la dette.

Les machines remplacent les hommes mais elles coûtent cher à concevoir et à réaliser. Normalement l’équilibre entre les trois entités créatives, l’homme, l’argent et la machine, se fait naturellement car d’un côté l’homme est attiré par la machine qui fait le travail à sa place mais de l’autre, il n’y a de machine que si l’homme a suffisamment travaillé pour avoir l’argent nécessaire à son achat. La machine ne crée pas le chômage parce qu’elle n’existe que si l’homme travaille assez pour pouvoir se la payer.

Or avec la dette le verrou saute. La machine est payée immédiatement par l’emprunt et à terme par les mythiques richesses futures. Le résultat est une mécanisation galopante qui fait monter parallèlement le chômage et la dette. Ne pourrait-il y avoir des économistes pour hurler aux oreilles des puissants que si l’on n’abandonne pas l’outil stupide de la dette pour retrouver le travail humain, le chômage ne peut que monter, la dette s’envoler et la violence atteindre des sommets.

Gloire au travail, le seul que l’on ose ignorer le jour de sa fête !

Regard individuel et regard collectif

Tout s’écroule sauf la certitude de nos dirigeants droits dans leurs bottes d’apparat. Ils sont tellement peu sûrs d’eux-mêmes qu’ils ont besoin de se cramponner aux faux intellectuels façon Attali, Minc ou BHL qu’ils ont toujours écoutés, droite et gauche confondues, et qui les ont toujours conduits dans le mur. Ils sont incapables d’envisager qu’ils se trompent depuis toujours, que leurs analyses sont fausses et que les cycles économiques sont des leurres. A force d’acheter l’affect du peuple, ils se sont convaincus qu’ils étaient réellement appréciés pour leur supériorité naturelle.

De l’autre côté une partie du peuple croit au complot en pensant que le désastre est voulu dans le but d’en enrichir certains. Certes il y a manigance dans l’organisation de la débandade, mais il y a surtout une incompréhension généralisée de ce qui se passe et de la raison du désastre. Il suffit de parler en privé à des politiques pour constater combien ils sont perdus et combien ils ont peur d’affronter la réalité car comme le dit Daniel Cohn-Bendit « le discours de la vérité ne peut pas avoir la majorité ». Or les politiques craignent la vérité, ils veulent la majorité.

Toute notre société est structurée autour de l’idée que nous créons annuellement des richesses et que nous devons nous les partager au moins mal. Notre économie, notre éducation et notre politique sont fondées sur cette certitude et notre énergie n’est bandée que sur l’augmentation de la production de richesses, la fameuse croissance, et sur l’ajustement de sa répartition. Voilà notre dessein actuel qui est accessoirement d’un matérialisme affligeant.

Or il n’y a pas de création de richesses en économie contrairement au formatage martelé si agréable à entendre.

Une richesse n’étant qu’un regard il faut différencier le regard individuel du regard collectif. Il y a bien évidemment des regards individuels qui voient leurs créations comme des richesses. L’enfant qui fait avec son couteau un sifflet à partir d’une branche de frêne ou le peintre du dimanche qui se fait plaisir en maniant son pinceau, se créent évidemment des richesses à leurs propres yeux, richesses qui deviendront d’ailleurs souvent avec le temps embarras puis débarras. Mais nous ne faisons pas de l’économie en constatant cela. L’échange des regards individuels, c’est-à-dire le troc, n’a jamais existé que dans les cours d’écoles au grand dam des parents.

L’économie étudie, ou devrait étudier, les échanges entre les regards individuels et le regard collectif. Le regard collectif c’est la monnaie car, à l’intérieur du groupe qui a cette monnaie, chacun la regarde comme une richesse et le regard que portent tous les individus sur la monnaie est le même. Il n’y a donc qu’un seul regard collectif et la monnaie est une richesse reconnue par tous dans le groupe.

L’économie est censée étudier comment les individus qui portent un regard individuel de richesse sur ce qu’ils fabriquent par leur travail, vont pouvoir vérifier que ce qu’ils ont fabriqué est réellement reconnu comme richesse par le groupe et n’est pas considéré par le groupe comme inintéressant voire nocif.

La seule façon de faire cette vérification ponctuelle est de constater qu’un client vient s’appauvrir en monnaie pour s’enrichir de ce qui n’était quelques instants auparavant qu’un regard individuel de richesse non encore reconnu. Dès que le client s’est appauvri par son achat d’une certaine quantité de monnaie, cette quantité devient le chiffrage du regard collectif que le groupe porte à ce qui a été créé. C’est par son propre appauvrissement que le client confère à la production de l’entreprise l’estampille richesse.

On ne peut donc pas dire qu’une entreprise crée forcément des richesses. Elle crée soit des richesses soit des inutilités soit des déchets qui n’intéressent personne. C’est en échangeant son argent contre la production de l’entreprise que le client transforme cette production en richesse parce que le regard collectif de l’argent a rencontré le regard individuel du producteur. C’est l’abandon par le client de son argent qui crée la richesse et non l’entreprise qui n’avait créé qu’une richesse potentielle et aléatoire.

Ce qu’il faut étudier ce n’est pas le bien ou le service qui a été proposé mais d’une part l’origine de l’argent qui a transformé ce bien ou ce service en richesse reconnue par le regard collectif et d’autre part les motivations qui ont poussé le client à s’appauvrir en monnaie.

Et c’est là où le bât blesse durement.

Dans une société normale c’est par le travail passé qu’un individu se trouve en possession de monnaie et il la dépense avec parcimonie car il sait les efforts qui ont été nécessaires pour l’obtenir. Mais dans notre société qui n’a réellement comme seul but que de justifier la surproduction que la mécanisation de tout a entrainée, ce frein salutaire a été saboté pour que la machine tourne. Il faut sauver la machine et tous ceux qui la servent. Ils sont faciles à reconnaitre : ce sont tous ceux qui gagnent beaucoup d’argent. Ce sont les mondes de la publicité (donc du sport et des médias), de la banque, de la politique et des dirigeants de grandes entreprises.

Et ça marche !

La machine tourne, tout le monde s’endette pour acheter, l’endettement mondial est sidéral comme l’endettement des particuliers, des entreprises et des Etats. L’Europe n’est pas encore endettée ? La Banque Centrale Européenne rachète aux banques par le « quantitative easing » des créances titrisées sur Etats qui ne pourront être honorées que par de nouveaux emprunts. Ce sont les subprimes en beaucoup plus gros mais mieux imaginées car totalement fondées sur la création de richesses futures auxquelles tout le monde fait semblant de croire.

La guerre a commencé pour savoir qui, des Etats, des entreprises ou des particuliers, va être contraint de sauver le système bancaire mondial que personne ne peut rembourser sans s’endetter à nouveau ou sans faire payer les autres. Le système bancaire mondial est déjà en décomposition avancée mais assez bien dissimulée pour faire encore provisoirement bonne figure.

Peut-être faut-il rapidement prendre conscience que la richesse n’est qu’un regard, individuel ou collectif !

La monnaie

Depuis plus de deux siècles les économistes discutent sans arriver à un accord pour savoir si la monnaie est un signe ou une marchandise.

Quand un groupe se constitue quelle qu’en soit la raison il y a deux façons extrêmement différentes d’observer le début de son fonctionnement.

On peut avoir une approche exclusivement matérialiste et dire comme la science économique qu’ « au début était le troc » avec sa suite formatée « et un jour c’est devenu trop compliqué et on a inventé la monnaie ». Peu importe qu’aucun archéologue n’ait jamais trouvé trace d’une économie de troc, peu importe que chacun puisse constater que lorsqu’on lance une association, les membres ne se précipitent pas pour savoir ce qu’ils peuvent échanger entre eux contre leur stylo ou leurs chaussures, peu importe que dans une famille papa ne conduise pas les enfants à l’école uniquement après avoir vérifié qu’ils avaient bien aidé maman, la vision matérialiste du groupe est que tout commence par le troc et que la monnaie en est le substitut.

La vision de ce commencement est l’échange des avoirs et toutes les écoles économiques sont fondées sur ce choix qui affadit toutes leurs disputes car toutes considèrent la monnaie comme un avoir.

Une autre approche est possible, une approche fondée sur l’échange des êtres et non sur l’échange des avoirs.

Un groupe se constitue parce qu’il a un but, que ce soit voyager, se défendre, se reproduire, se nourrir, attaquer, promouvoir ou abattre. Aucun groupe ne se crée pour attendre. A l’intérieur de ce groupe chacun est prié de donner le meilleur de lui-même pour la réussite du but commun. Le don de soi et l’accueil de l’autre sont les bases sur lesquelles se construit un groupe, et le lien social en détermine le but et la limite. Mais dans tout groupe la tendance au farniente et au laisser travailler les autres s’insinue dès que le groupe devient important. Le groupe commence alors par rappeler à l’ordre les récalcitrants puis de guerre lasse impose la contrainte ou … génère la monnaie.

Le mot monnaie comme le mot monument vient du verbe latin moneo qui veut dire « faire souvenir ». L’idée est aussi géniale que l’invention de la roue et elle a germé sur tous les continents. On prend une matière recherchée, rare, pérenne, divisible et transportable. On donne à chacun, en souvenir de ce qu’il a déjà apporté au groupe, la quantité de cette matière qui lui revient et l’on chiffre les biens et les services. La monnaie génère alors par sa circulation une apparence de troc et si un paresseux continue à être inutile, son stock de monnaie fond et n’est pas réapprovisionné.

Au début de cette vision est l’échange des êtres, ce qui donne une vision totalement différente de la monnaie. La monnaie devient un stockage d’énergie humaine, de travail reconnu par le groupe et dans cette vision, la quantité de monnaie ne peut croître que par la procréation car si on la multiplie autrement, elle se dévalue automatiquement comme le XXème siècle l’a montré en dévaluant le franc de 99,95% entre le franc Poincaré de 1914 et le franc du passage à l’euro de 2002 alors qu’il n’avait subi aucune dévaluation entre le franc germinal de 1802 (appelé aussi Napoléon) et le franc Poincaré plus d’un siècle plus tard. Le professeur Jean-Charles Asselain le rappelait en février 2002 dans une conférence au Ministère des Finances en précisant que la pièce de vingt francs or de 1914 était devenue la pièce de même taille et de couleur vaguement du même jaune, de vingt centimes de franc de décembre 2001. On a eu beau multiplier par 6,55957 la valeur de la pièce de vingt centimes pour qu’elle soit « d’euro » et non plus « de franc » il reste que la pièce de vingt francs or du début du XXème siècle est devenue 3 centimes d’euro par le simple fait que la valeur de la quantité de monnaie ne peut croître autrement que par la procréation humaine et que toute autre moyen de la créer, la dévalue.

Imaginons d’ailleurs un monde sans contact avec l’extérieur, vivant en autarcie et ayant sa monnaie. Si un malveillant parachute un container de billets de banque doublant la quantité de monnaie de cette collectivité, cela entraînera d’abord un chaos avec des nouveaux riches non reconnus et haïs avec toutes les conséquences de ce choc puis avec le temps le calme reviendra mais avec le doublement de tous les prix.

La monnaie, si elle permet de forcer tous les membres du groupe au travail, entraîne aussi deux dangers que le groupe devrait maîtriser.

Le premier on l’a vu est la création de monnaie qui ne doit être faite qu’en remplacement d’une monnaie détruite ou qu’en constat de l’augmentation de la population active. Elle peut aussi être faite sciemment par la direction du groupe pour une politique économique donnée, ce qui entraîne bien sûr une dévaluation comme dans l’histoire du container, donc une hausse des prix mais cette création est alors un impôt qui peut être justifié. Ce qui n’est pas acceptable dans cette vision de la monnaie c’est ce qui se passe depuis une cinquantaine d’années. On n’ébouillante plus les faux monnayeurs comme au moyen-âge, on ne les envoie plus aux travaux forcés à perpétuité comme c’était imprimé sur tous les billets il y a encore 50 ans, car nous sommes tous devenus des faux monnayeurs.

Jusqu’en 1971 la création monétaire était freinée par les accords de Bretton Woods qui liaient toutes les monnaies au dollar, lui-même lié à l’or. On avait déjà oublié que la monnaie était une énergie humaine stockée mais le fait qu’elle soit liée à l’or en freinait la multiplication. On avait bien constaté au XVIème siècle combien l’arrivée massive d’or des galions espagnols avait entraîné une hausse des prix dramatique mais l’or étant devenu rare et sa production fortuitement comparable à l’augmentation démographique, la convertibilité du dollar en or était un frein efficace à la multiplication des monnaies. Le 15 août 1971 le président Nixon en faisant sauter cette convertibilité, a fait sauter les digues qui nous protégeaient de l’argent apparemment facile. Tout le monde s’est mis à fabriquer de la monnaie: les états avec leurs budgets déficitaires curieusement et bêtement sanctifiés à 3% par le traité de Maastricht, les particuliers avec leurs cartes de crédit à débit différé, les entreprises avec leurs délais de paiements et surtout évidemment les banques avec la double écriture. Toute cette monnaie créée n’étant pas de l’énergie humaine stockée est donc de la fausse monnaie. La hausse faramineuse des prix que cette folie devrait entraîner est bloquée par la concurrence et la recherche effrénée de compétitivité pour survivre et par la création exponentielle de fausse monnaie sous forme de dettes et de crédits. Alors que le bon sens de la charte de La Havane et du programme du Conseil National de la Résistance prônait la coopération et non la concurrence, tout est espéré de nouveaux produits, de nouveaux marchés et de nouveaux financements. Nous nous mettons, en rêvant, la tête dans le sable en attendant le choc. Les économistes déboussolés cherchent désespérément, dans tous les sens et sans succès, à relier cette réalité à leur théorie de la monnaie qui pourrait se multiplier si on échangeait davantage. Certains imaginent même une distribution gratuite d’argent à chaque individu pour faire tourner la machine !

L’autre danger inhérent à la monnaie est la fixation des prix car il ne faut pas oublier que la monnaie n’est là au départ que pour coincer les paresseux et que la solidité du groupe reste fondée sur le don de soi et l’accueil de l’autre comme dans une tribu où l’enrichissement individuel n’est pas envisageable. La monnaie permet heureusement l’enrichissement individuel par appauvrissement de l’autre mais le pouvoir doit veiller à ce que cet appauvrissement soit volontaire et non imposé. Le prix n’est donc pas un simple accord entre acheteur et vendeur. Dès l’instant où il se chiffre en monnaie, l’accord doit être tripartite, vendeur, acheteur, groupe. Mais il faut pour cela que le groupe ne soit pas totalement désorienté et que le bon sens l’habite. Ce n’est donc malheureusement pas le sujet du moment. On a pourtant le droit d’y réfléchir.

L’économie virtuelle

Dans ce monde où personne ne veut voir que nous consommons nettement plus que ce que nous produisons, y a-t-il une autre solution que la guerre pour arrêter le système qui permet de trouver cela naturel ?

Cette question simple qui est inconsciemment en chacun d’entre nous est tellement difficile, complexe et désagréable que nous procrastinons tous en en reportant chaque jour l’étude au lendemain.

C’est sans doute en trois temps qu’il faut aborder le problème. D’abord comprendre la simplicité de l’économie réelle, ensuite analyser l’économie virtuelle et enfin observer comment l’éducation et la politique se sont mis au service du virtuel par paresse et veulerie.

L’économie, l’action dans la maison en grec, est très simple. La monnaie est l’énergie collective utilisable pour n’importe quoi à l’intérieur du groupe qui l’utilise, et le travail est la seule énergie individuelle connue. L’économie c’est l’échange entre de la monnaie et un bien ou un service créé par le travail. C’est aussi l’étude de cet échange. Chaque individu essaie de séduire par son travail un possesseur de monnaie pour échanger avec lui les énergies et transformer le fruit de son travail dont il ne sait pas très bien si ce fruit est richesse, embarras ou déchet, contre de la monnaie qui est une richesse objective sûre et stable. La monnaie est le seul bien qu’il est unanimement scandaleux de brûler. Tous les autres biens sans exception peuvent être des encombrements ou des déchets pour certaines personnes ou dans certains lieux ou à certains moments. Quel que soit le bien on trouvera toujours quelque part, quelqu’un qui aura envie à un moment donné de le détruire. Mais personne ne brûle des billets de banque. Les deux seules exceptions connues, Gainsbourg et Nicholson, sont deux beaux exemples du côté asocial des médias.

Le possesseur de monnaie s’appellera patron ou client. Les individus se regrouperont ou pas pour fabriquer des biens ou des services mais, seuls ou en groupe, ils seront toujours dans la séduction du possesseur de monnaie, à l’écoute de ce qu’ils doivent modifier pour mieux répondre à son attente. Dans l’économie réelle l’achat de l’affect du possesseur de monnaie par la publicité n’a pas encore fait ses ravages coûteux et on en reste à la remise en cause permanente de celui qui travaille pour être plus utile au groupe, plus reconnu par lui. L’économie réelle est toujours dans le don de soi et dans l’accueil de l’autre comme cela se passait avant l’introduction de la monnaie. L’économie réelle ne crée des biens et des services que pour vérifier qu’elle n’a pas perdu son temps et qu’elle peut échanger sa création subjective contre de l’argent objectif. Le prix est la mesure juste qui permet à la monnaie de circuler sans se dévaloriser. Sa multiplication intempestive s’appelle l’inflation, la masse monétaire qui enfle et qui génère la hausse des prix.

L’économie réelle sait qu’il faut des impôts et des fonctionnaires et que la difficulté est d’arriver à ce que tout fonctionne en limitant les deux, un bon fonctionnement avec peu d’impôts et peu de fonctionnaires. Dans l’économie réelle les fonctionnaires séduisent leur employeur, l’Etat, qui va chercher par l’impôt de quoi les payer et qui rend compte de sa gestion. Sa gestion consiste avant tout à garantir la valeur de la monnaie, cette énergie collectivement stockée et qui ne doit pas être gaspillée mais utilisée pour stimuler le travail de tout le peuple. Si la monnaie se dévalue, c’est qu’il y a inflation et l’Etat doit alerter son peuple sur ce qui ne va pas.

Toutes les civilisations ont vécu cette simplicité et dans celles qui avaient l’or pour monnaie, aucune n’a jamais dit que l’or ne valait plus rien. L’or ne s’est jamais dévalué.

Mais depuis deux siècles l’Occident a inventé l’économie virtuelle qui a elle-même inventé la création de richesse par un moyen simple, stupide mais qui a très bien marché : compter les échanges, les additionner et dire que c’est un produit, une création de richesses. Ça n’a aucun sens mais en le répétant des millions de fois cela a marché dans un monde qui ne filtre plus l’échange. Normalement l’échange est filtré par l’action qui montre l’impossibilité d’un fantasme et par la réflexion qui montre la déraison de la stupidité, les deux empêchant l’échange de n’être que du délire.

Mais la réflexion est abandonnée à ceux qui passent à la télé pour vendre leurs livres et y sont « suffisants et insuffisants » dans leurs péroraisons mais bien propres sur eux. Quant à l’action elle est sous-traitée à d’autres parties de la Terre  qui sont encore en économie réelle et qui ne rechignent pas au travail. Sans ce double filtre nous nous sommes laissés convaincre que le PIB est une création annuelle de richesses, une manne divine à nous distribuer.

Le plus fort est que nous nous sommes tous enrichis de cette manne divine grâce à l’emprunt fondé lui-même sur la création de richesses futures. Comme c’est totalement virtuel, l’appauvrissement indispensable au remboursement des emprunts devient une guerre sans merci entre les Etats, les entreprises et les citoyens qu’ils soient clients ou contribuables. Tous les coups sont permis dans tous les sens et cela ne fait que commencer.Cet échange de coups vicieux va devenir notre activité principale et l’économie virtuelle se frottera les mains de cette nouvelle richesse.

Pendant ce temps, au lieu de prendre conscience du rapprochement inévitable de la guerre qui fait éclater en 5 minutes la bulle de l’économie virtuelle, nous perdons notre temps en discussions oiseuses et byzantines pleines de name-dropping sur la « valeur travail » en ayant oublié et ce qu’est la valeur et ce qu’est le travail. Ou nous devisons sur l’étalon or comme si le rattachement à une matière non dévaluée résolvait quelque problème de fond que ce soit.

Qui ne s’engage pas fermement aujourd’hui dans l’éclatement de la bulle des créations de richesses de l’économie virtuelle, fait le choix de la seule autre solution, la guerre qui sera d’abord civile avant d’être mondiale. La guerre dans son abominable côté concret, casse les reins en un instant à tout ce qui est virtuel. Allez emprunter sur richesses futures en temps de guerre !

Mais nos institutions politique et éducative ou plutôt ceux qui s’en sont arrogés les rênes sans donner l’impression de bien comprendre, ont fait le choix de se servir de l’économie virtuelle au lieu de la faire éclater. L’effondrement de leur popularité montre que le bon sens reste au peuple.

Bien voir, bien comprendre, bien agir

L’équilibre perdu

 

La notion de richesse est complexe car si la richesse n’est qu’un regard, les regards sont multiples.

Il y a le regard individuel qui répute riche tout ce qui fait envie, tout ce que l’on trouve personnellement beau et bien. Ce regard nous est personnel et en plus, varie dans le temps et dans l’espace. C’est ce regard-là que les entreprises cherchent à capter, voir même à générer par la publicité. Les entreprises, pour pouvoir distribuer à leurs salariés, à la collectivité et à leurs actionnaires, l’argent de leurs clients, doivent les séduire pour qu’ils voient en richesse, la production de l’entreprise. Ce regard-là est totalement subjectif. C’est le regard que nous allons porter sur un pain, une voiture, un château, un téléphone, un diamant ou un verre d’eau, sur un service ou sur une production palpable. C’est la richesse en nature (ou en volume comme le dit l’INSEE).

Il y a le regard collectif qui dépend du groupe, regard qui se voudrait objectif et qui veut être une référence stable commune. C’est la monnaie. Nous avons vu que la monnaie est de l’énergie humaine stockée et qu’elle n’est une référence commune que par la reconnaissance par tout le groupe de sa valeur. Il faut pour cela que le groupe existe et qu’il ait trouvé sa place entre l’individuel et le sacré.

Normalement l’équilibre se fait entre ces deux regards, entre ces deux richesses. Le vendeur de voiture s’enrichit en argent et s’appauvrit en voiture pendant que le nouvel automobiliste est content de sa nouvelle voiture même s’il s’est appauvri en argent.

Mais tout cela ne tient que si l’on a intégré que la monnaie est de l’énergie humaine stockée et qu’il faut donc la stocker avant de l’utiliser. L’argent ne peut exister que par le travail réputé utile par le groupe ou par la procréation qui est un travail réputé utile par le groupe (sauf en Chine). Si l’on se laisse bercer par la fable de la manne divine et de la création de richesses futures permettant aux banques de nous prêter de l’argent qui n’existe pas, si l’acheteur s’enrichit en volume sans s’appauvrir en monnaie en croyant que le PIB lui apportera de quoi rembourser la banque, l’équilibre est rompu et faire tourner le système devient le but de plus en plus prégnant du groupe qui ne s’aperçoit plus que ce but est impossible car le regard collectif n’existe plus.

On pourrait écrire des bibliothèques entières sur la façon dont les hommes ont tenté sans succès de s’affranchir du travail en cherchant à donner à l’argent une valeur objective. L’étalon or est une de ces tentatives, le bitcoin en est une autre presque opposée. Aucune ne peut réussir car tout est fondé sur une approche matérielle de la richesse.

Il nous faut revenir aux fondamentaux, réaliser que la richesse n’est qu’un regard et qu’il faut un groupe pour avoir un regard collectif. Comme disait Jean Bodin au XVIème siècle : « Il n’y a de richesses que d’hommes ».

Blanchir l’argent sale

On me demande souvent ce que la compréhension ou l’incompréhension de la monnaie change dans son utilisation concrète. Beaucoup me disent : « D’accord la monnaie est de l’énergie humaine stockée. Et alors ? »

Par ailleurs, même des gens sérieux comme Etienne Chouard disent que la monnaie créée par les banques lors d’un prêt est détruite lors de son remboursement.

Il n’en est malheureusement rien car le bon argent, créé par le travail de l’emprunteur qui a stocké son énergie dans cet argent, n’est pas détruit. Il est venu remplacer à la banque la fausse monnaie qu’elle avait créée par la double écriture au moment du prêt.

La banque crée de la fausse monnaie et la blanchit en l’échangeant contre de la vraie monnaie, stockage d’énergie humaine.

Les petits malfrats, y compris les grands trafiquants de drogue, perdent beaucoup d’argent en blanchissant leur argent sale. Ils récupèrent toujours moins en propre que ce qu’ils mettent en sale quelle que soit la méthode de blanchiment.

Les grands malfrats font beaucoup mieux. Ils récupèrent en argent propre grâce à l’usure, pardon ! à l’intérêt, plus d’argent que l’argent sale qu’ils ont créé.

Voila à quoi peut servir la compréhension de la monnaie.

La prospérité vient-elle du travail ou de l’échange ?

L’incompréhension générale de ce qu’est la monnaie et la croyance que l’on crée objectivement de la richesse sont les deux pieds très enracinés du blocage économique que les commentateurs politiques et médiatiques ont réussi à nous faire appeler la crise.

Si l’on ne se contente pas de rejeter la responsabilité de la crise sur l’extérieur en attendant béatement l’embellie alors que le drame ne fait que commencer, il faut tout d’abord ne pas confondre la monnaie collective qui se chiffre et qui est pérenne, avec la richesse qui n’est qu’un regard individuel qui ne se chiffre pas et qui peut changer.

Si tout était normal la monnaie serait limitée et se chiffrerait par la quantité d’énergie humaine reconnue comme stockée par le groupe. La richesse serait le regard inchiffrable du groupe et de ses membres sur l’alliage du beau et du bien qui est le riche.

Si tout était normal nous retrouverions le don de soi et l’accueil des autres, l’échange des êtres, à l’intérieur d’un lien social qui serait un but commun.

La vie, et en particulier la vie humaine, est échange d’énergie. La vie sociale est échange d’énergie humaine.

L’échange d’énergie humaine peut se faire par voie directe (travail, amour, sport, discussion, guerre,…) ou par voie de l’énergie stockée qu’est la monnaie.

Pour qu’il y ait échange il faut que chacun ait l’impression de s’enrichir à chaque échange, la richesse n’étant qu’un regard. L’échange qui se fait librement est un double contentement et donc un double enrichissement.

Tout échange est une photo de deux regards différents sur les mêmes biens ou les mêmes services en un lieu et un temps donnés L’un voit une richesse là où l’autre voit un encombrement, voire un déchet et réciproquement. C’est l’équilibre entre ces deux regards qui génère l’échange. Si l’énergie stockée qu’est l’argent est un élément de l’échange, ce n’est jamais un déchet et l’échange ne se fait que si l’acheteur considère que la quantité d’argent à échanger devient, à ses yeux, un encombrement par rapport à la richesse qu’est, à ses yeux, ce qu’il va recevoir en échange de son argent.

Tous ces regards sont instantanés et si, au moment de l’échange, chacun a subjectivement l’impression de s’enrichir, la réalité du groupe est que l’échange est objectivement neutre. Il n’y a pas de création objective de richesse qu’un autre regard verra d’ailleurs comme un encombrement ou même comme un déchet. La richesse est instantanée parce qu’un regard peut évoluer et est d’abord individuel.

Le groupe ne s’enrichit nullement de cet échange et pourtant, si l’un des termes de l’échange est l’argent, cela va curieusement faire du PIB, de la croissance et sera malhonnêtement présenté comme un enrichissement que certains vont croire pouvoir se partager.

L’erreur fondamentale du libéralisme si on l’approuve ou du capitalisme si on le désapprouve, est de confondre l’échange avec la prospérité. Si ça tourne c’est que ça va. Nous sommes dans la société de l’apparence qui ne peut être que dans l’immédiateté car l’apparence ne peut durer. .

Pour que le peuple vote bien, on s’interdit de traiter les causes qui mettrait le dit peuple face à ses contradictions avec des chances de le voir choisir. On va se contenter de donner l’illusion de traiter les conséquences que chacun perçoit. On va dire se préoccuper de la dette, du chômage et de la balance commerciale déficitaire en appelant ça la relance ou la reprise économique.

Pour ne pas mettre le peuple en face de lui-même, ce qui serait évidemment anti-électoral au possible, on va faire l’inverse ce qu’il faudrait faire.

Au lieu de faire travailler le peuple par un protectionnisme intelligent pour qu’il ait l’argent nécessaire aux achats de ce qu’il produit, on va importer de quoi vendre et prêter de quoi acheter puisque l’activité est l’apparence de la prospérité. Comme il faut bien payer nos importations on va vendre notre technologie façon vente d’armes à l’ennemi (passible de mort en temps de guerre). On ne vend plus un avion ou un train sans abandonner à l’étranger notre savoir-faire en misant tout sur ce que notre intelligence supérieure trouvera demain.

On pense résoudre le chômage en faisant payer par l’Etat de mille façons différentes, la non-occupation du peuple.

Quant à rembourser la dette, personne n’y pense sérieusement et il s’agit surtout de continuer à pouvoir s’appuyer sur un monde financier dont on a tant besoin pour tenir la communication et le vote du peuple. On se contentera d’envisager de freiner l’augmentation de la dette !

Il est tellement reposant de ne pas regarder le fond des problèmes. Mais en cette période de solstice d’hiver où la lumière va être de plus en plus présente, ne pourrions-nous pas la laisser nous éclairer un peu ?