Le mot commerce vient du latin merces qui veut dire prix et du préfixe co qui veut dire ensemble. Le commerce est un accord sur le prix et le commerce extérieur est un accord sur le prix entre personnes qui n’ont pas forcément la même idée de la richesse. Le prix est en effet sans doute en économie la notion la plus difficile à approcher car il quantifie une richesse qui n’est qu’une notion qualitative qui varie selon les civilisations, les lieux et les moments. Dans une même nation le prix quantifie ce que tous voient comme une même richesse, et le prix remplace à l’intérieur de la nation, l’échange des êtres qui se pratique encore dans une famille ou un groupe d’amis. En revanche dans le commerce extérieur où les deux parties ont souvent des approches différentes de la richesse, le prix n’a guère de sens et la seule solution pratique est normalement l’échange des avoirs, le troc, qui permet aux deux parties d’apprécier, chacune avec son regard, l’équivalence des deux ensembles de biens échangés, sans tenir compte de la différence de regard que chaque partie porte sur tel ou tel élément des ensembles échangés. Une partie peut en effet penser que tel élément est une richesse alors que l’autre n’y voit qu’un encombrant quand, à l’inverse, l’autre partie trouve ailleurs qu’un encombrant de l’autre est pour elle une richesse. C’est ce qu’a vécu Christophe Colomb lors de sa rencontre avec les indigènes du nouveau continent et ce qui est la base d’un commerce international judicieux.
Mais à partir de la deuxième guerre mondiale s’est engagé un combat discret mais féroce entre le bon sens et une idéologie imposée plus qu’expliquée et qui nous gouverne encore aujourd‘hui. Le bon sens a continué à mettre comme premiers essentiels le droit au travail et le devoir du travail pour tous les citoyens afin que chacun contribue du mieux possible au « bien commun », étymologie du mot république. Ce bon sens était la base économique du Conseil National de la Résistance qui avait dans son programme « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » avec« le droit au travail et le droit au repos ». Le droit au travail a été inscrit dans les deux constitutions françaises qui ont suivi la guerre. Il y est toujours inscrit même si, au moment où Mitterrand s’est converti au libre-échange, il a fait dire par le conseil constitutionnel dont il venait de nommer président son ami Daniel Mayer, que le droit au travail n’était pas une créance qu’avait tout citoyen sur l’État et que le devoir de l’État se limitait à faire des efforts pour le plein emploi et non de respecter la lettre de la constitution. Cette idéologie a construit parallèlement, sous les beaux-mots de libéralisme et de libre-échange, une usine à gaz incohérente qui survalorise la liberté au détriment de l’égalité et de la fraternité. La troïka politico-médiatico-universitaire qui nous gouverne, cherche à nous la faire croire cohérente en y dépensant toute son énergie.
Le bon sens met en avant le plein emploi, le droit au travail, l’utilisation productive de toutes les énergies des citoyens et ne voit un intérêt au commerce extérieur que s’il ne nuit pas au plein emploi et s’il apporte aux deux parties par l’échange, un plus fondé sur des approches différentes de la richesse. Le libéralisme au contraire voit le chômage comme une variable d’ajustement et met en avant la baisse des prix pour stimuler la consommation, rentabiliser les machines où qu’elles soient et ne favoriser l’emploi que dans les secteurs ou chaque pays aurait un « avantage comparatif ».
L’avantage comparatif est le raisonnement essentiel proposé par David Ricardo pour donner une base théorique au libre-échange prôné par Adam Smith. Ricardo compare une Angleterre et un Portugal qui produiraient tous les deux du vin et du drap de mêmes qualités, chaque fabrication demandant moins de temps au Portugal (90 heures pour une pièce de drap et 80 heures pour une barrique de vin) qu’en Angleterre (100 heures pour une pièce de drap et 120 heures pour une barrique de vin). Ricardo démontre mathématiquement que sur l’ensemble des deux pays, on produit dans un temps donné davantage de drap et de vin si le Portugal se spécialise là où il est le meilleur et si l’Angleterre se spécialise là où elle est la moins mauvaise. Le calcul est simple à faire et irréfutable tant qu’il s’appuie sans le dire sur deux hypothèses : le plein emploi dans les deux pays où il s’agit simplement d’utiliser au mieux les heures de travail, et un regard commun sur le vin et sur le drap, considérés dans les deux pays comme une richesse. En 1817 il n’était pas concevable que quelqu’un survive sans travailler et que l’alcool ne soit pas considéré comme une richesse. L’avantage comparatif de Ricardo démontre ce que le bon sens applique depuis toujours, à savoir que chacun est utile là où il est le meilleur ou le moins mauvais. Il n’y a pas de quoi en faire des gorges chaudes que certains économistes font sans voir que les deux hypothèses cachées sont aujourd’hui devenues fausses et que, sans le plein emploi et sans un regard commun sur la richesse, le raisonnement de Ricardo s’effondre. Ricardo avait raison quand l’Angleterre et le Portugal appartenaient au même monde. Le libéralisme aurait raison si le monde entier faisait sien le regard occidental. Ricardo avait aussi raison si on applique l’avantage comparatif entre un homme et une femme mais là il est devenu interdit de le dire et même d’y penser. Tant pis pour la biodiversité quand elle est humaine !
La bataille a commencé très tôt. En février 1946, le Conseil économique et social des Nations Unies convoque une « conférence internationale sur le commerce et l’emploi en vue de favoriser le développement de la production, des échanges et de la consommation des marchandises ». La conférence s’est tenue à La Havane du 21 novembre 1947 au 24 mars 1948. Il en est sorti la Charte de La Havane signée par l’ONU et 53 pays et créant l’Organisation Internationale du Commerce (OIC). La Charte de La Havane stipulait que le commerce extérieur devait d’abord ne pas nuire au plein emploi de chaque pays et que par conséquent l’import et l’export devaient obligatoirement s’équilibrer et soient un bénéfice pour tous, chaque pays ayant son regard personnel sur la richesse. Bien que signée par tout le monde y compris les États-Unis, la charte de la Havane n’a pas été ratifiée par le Sénat américain et Truman a renoncé à la lui faire ratifier en 1950 quand la guerre de Corée a éclaté. L’OIC était morte alors qu’elle était le bon sens.
Les partisans du libre-échange de 23 pays ont parallèlement mis en place à Genève hors ONU dès octobre 1947 le GATT (en anglais : Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce) qui n’a pas l’emploi dans ses buts et qui veut réduire voire supprimer les droits de douane prônés par les tenants du plein emploi. En diminuant par 8 fois les droits de douanes, cycle après cycle, round après round puisque ce sont les Anglo-Saxons qui étaient à la manœuvre, le GATT puis l’OMC créé à Genève hors ONU en 1995, ont réduit les peuples à un rôle de consommateurs de plus en plus inutiles au profit des possesseurs de machines qui doivent vendre leur production où qu’elle se fasse. On invente une activité à ces consommateurs inutiles dans l’administration, les associations ou les services à la personne, le tout payé par la montée sans fin de l’emprunt en appelant toute dépense, création de richesse. La montée mondiale de la dette fait croire que nous créons les richesses nécessaires en se convainquant par la stupidité très commode du PIB qu’en additionnant des dépenses, on crée de la richesse.
Les droits de douane sont pourtant le mécanisme qui permet d’équilibrer l’import et l’export, de protéger les emplois d’un pays en augmentant artificiellement le prix de ce qui est fabriqué moins cher à l’étranger quelle qu’en soit la raison. L’OIC leur donnait leur sens profond en mettant la priorité sur le plein emploi, le GATT avait au contraire comme seule ambition de les supprimer sans se soucier du chômage qu’il générait. L’agonie puis l’oubli voulu de l’OIC et la victoire de l’OMC nous a menés à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et que nous encensons par le libre-échange.
Le joli mot de libre-échange n’est qu’un leurre qui nous éblouit tous.
L’économiste Jacques Nikonoff écrivait déjà en octobre 2006 « Le libre-échange a été érigé en tabou. Ceux qui le combattent et qui considèrent que la nation a un rôle à jouer sont qualifiés de nationalistes ou souverainistes ; ceux qui considèrent qu’il faut respecter la souveraineté populaire sont accusés de populistes ; ceux qui considèrent que l’Etat doit réguler les marchés sont stigmatisés comme étatistes ; et ceux qui critiquent le libre-échange sont jugés protectionnistes. » Le mépris remplace en effet le raisonnement.
L’occident anglo-américain a imposé son regard par le GATT puis par l’OMC aux socialistes comme aux libéraux, et a considéré que la Terre entière devait avoir leur regard sur la richesse, le premier regard étant que le dollar était de l’or. « Dollar is gold ». Le commerce extérieur est devenu le libre-échange, un échange complètement biaisé entre des biens et une monnaie exclusive, le dollar, imposé comme réserve mondiale de richesse qu’il n’est plus depuis août 1971, date de sa déconnection de l’or.
Les Libéraux comme les Socialistes ont tous oublié la Charte de La Havane. Ils nous entraînent ensemble avec L’UE et l’OMC vers un abandon de nous-mêmes. Faire payer les autres ou nous vendre nous-mêmes. C’est la réaction à cet abandon inacceptable qui se génère heureusement partout actuellement.
En face il n’y a que du vent. Gabriel Attal, fidèle au miroir aux alouettes macroniste, tente en vain de nous convaincre par affirmations péremptoires : on a « besoin du marché unique » ou « un emploi, c’est l’UE qui le permet » !