Le grand écart

Croire à la création de richesse, c’est se croire un pays riche, se demander où passent les richesses et vouloir sa part. C’est une illusion très agréable qui fait perdre le contact avec la société en divinisant sa propre illusion.

Une société est une organisation utilisant l’énergie de ses membres pour leur survie et leur prospérité. Quand sa taille est importante, elle a besoin d’un véhicule externe de cette énergie: c’est la monnaie.

Dans une société cohérente, c’est l’État qui crée la monnaie en reconnaissance de ce que le peuple a déjà apporté d’utile au groupe social. C’est, en des millions de morceaux, la photo chiffrée de ce qu’un peuple voit comme sa richesse nationale. La monnaie devient indispensable quand le groupe est devenu trop important pour que cette richesse soit simplement dans toutes les têtes.

Au moment de l’introduction de la monnaie chacun est réputé avoir apporté le même travail, la même énergie, la même richesse dans le donner-recevoir-rendre constitutif de la cohérence du groupe. Chacun se retrouve donc au départ avec la même quantité de monnaie qui peut être abondante et cela donne la lire italienne, ou plus ramassée et cela donne le franc suisse valant 1700 fois plus. Cette monnaie est la preuve transportable et cessible  que le groupe a une dette vis-à-vis du porteur de cette monnaie. Son chiffrage donne la valeur énergétique de ce qu’il détient. Le porteur peut faire exécuter cette dette en tout lieu et à tout instant par n’importe quel membre du groupe qui souhaite avoir cette même preuve en sa possession.

Mais l’introduction de la monnaie ne modifie pas le principe connu de toute éternité que l’énergie a une source, qu’elle se consomme, se transforme ou se disperse. Elle le fait d’abord objectivement pour la survie, ensuite subjectivement pour la prospérité. Subjectivement parce que prospère veut dire heureux et que l’impression de richesse n’en est qu’un des éléments. Dans tout groupe c’est l’énergie humaine qui permet la survie et qui produit ce que le groupe voit comme une richesse. Avoir accolé l’énergie monétaire à l’énergie humaine ne déroge en rien à ce principe. L’énergie humaine et la monnaie ne sont que deux formes du même sang du groupe. Cela est aujourd’hui soigneusement occulté.

La monnaie existante circule à chaque achat ou à chaque don mais contrairement au donner-recevoir-rendre, elle va pouvoir être stockée sous les noms de profit et d’épargne et être retirée de la circulation. Ce retrait n’est normalement possible que si quelqu’un s’appauvrit ou si l’État crée une nouvelle quantité équivalente de monnaie.

Mais dans une société cohérente la création de nouvelle monnaie ne se fait que lorsque l’État reconnaît que le groupe qu’il représente a une nouvelle dette vis-à-vis d’une personne physique ou morale. Il faut que le groupe se sente enrichi par cette personne. L’État chiffre et officialise alors cette reconnaissance en créant de la monnaie, créance sur n’importe quel membre du groupe. L’État, quelle que soit son organisation, doit veiller à ne créer de la monnaie qu’à bon escient. Il faut que les personnes à qui il donne cet argent aient véritablement et préalablement enrichi le groupe par leur action. Si ce n’est pas le cas, la création de monnaie ne fait que dévaluer la totalité de la monnaie et appauvrir tous ses détenteurs pour permettre l’enrichissement de ceux qui font du profit.

Ce jeu subtil de la circulation de la monnaie se contrôle par les prix qui flambent par la dévaluation quand l’État crée trop d’argent et qui ne permettent plus de vivre s’il n’en crée pas assez en laissant l’énergie humaine inemployée par le chômage ou mal employée par une production non régulée. Dans les deux cas le peuple paye l’incompétence de ses dirigeants.

L’État doit aussi en permanence distinguer dans ce que la société voit comme des richesses, celles qui sont immédiatement consommées comme la santé, la sécurité et la justice qui doivent être financées par l’impôt donc par la monnaie déjà existante et les richesses durables comme les bâtiments, les routes, l’éclairage public ou la recherche efficace et intelligemment orientée qui doivent être financées par la création d’argent. Leur disparition, leur délabrement ou leur inutilité doivent être aussi concrétisées mais par une destruction d’argent. L’important est que chacun puisse voir la réalité de la nouvelle richesse ou la disparition de l’ancienne quand l’État l’officialise par de la création ou de la destruction d’argent.

Mais au XXe siècle le capitalisme a inversé le temps en confiant la création d’argent aux banques en commençant par la FED aux États-Unis en 1913. En effet les banques, qu’elles soient centrales ou commerciales, doivent présenter un bilan parfaitement équilibré. Elles inscrivent à leur actif une créance à recouvrer identique à l’argent qu’elles créent et qu’elles inscrivent à leur passif à disposition de l’emprunteur. Le résultat est que l’argent n’est plus créé pour équilibrer une nouvelle richesse déjà constatée mais pour créer un déséquilibre rémunérateur pour la banque, déséquilibre qui ne disparaîtra qu’au remboursement de l’emprunt. Les banques ne vivent que sur l’intérêt de l’endettement de leurs clients, ce qui leur garantit de plus en plus mal leur train de vie, et les incitent malheureusement à jouer de plus en plus au casino avec leurs traders et notre argent.

Se pose alors la question de savoir avec quelle énergie, les débiteurs publics ou privés vont rembourser les banques. La réponse officielle des universités, des économistes, des politiques et des médias est que ce sont les richesses que nous allons créer qui vont tout rembourser. Les richesses créées vont non seulement rembourser les prêts mais, comme ces richesses vont, nous dit-on, rapporter plus qu’elles n’ont coûtées, la dépense étant baptisée investissement, nous allons être plus riches tout en asséchant notre dette. La seule raison pour laquelle nous ne voyons pas ce miracle tout de suite, c’est qu’il faut, nous dit-on toujours, laisser du temps au temps. Il parait que nous ne sommes pas assez patients.

La réalité est moins agréable et chacun peut constater, dans toutes les classes sociales qui ont encore une activité utile au groupe, qu’un seul salaire ne permet plus de faire vivre une famille comme il y a 50 ans. Toutes les classes sociales voient leur pouvoir d’achat s’effriter car la richesse n’est qu’un regard qui se remarque mais ne se crée pas. Là où un seul salaire suffit plus que largement c’est dans l’ensemble des activités inutiles de plus en plus nombreuses : les médias, la publicité, la finance, la haute administration, l’administration refuge des Politiques battus, tout ce qui n’existe que pour faire croire à la cohérence de la société.

Nous vivons le grand écart entre continuer à croire que nous créons des richesses et gérer le constat que ce n’est pas vrai. Comme tout grand écart il n’est supportable qu’en travaillant sa souplesse ou en séparant les deux branches de l’écart. Nous faisons les deux. Nous tentons d’éliminer le problème par le libéralisme ou le socialisme qui consomment idéologiquement de prétendues richesses sans les créer et nous nous contorsionnons dans tous les sens jusqu’à en être ridicules grâce au libertarisme.

Le libéralisme et le socialisme nient tout simplement le problème en s’inventant des richesses créées et en accusant, l’un l’État, l’autre les riches d’accaparer cette richesse prétendument produite. Tous deux cherchent à nous convaincre que nous créons des richesses et que nous sommes un pays riche alors que nous ne vivons que grâce à l’emprunt. La dette permet simplement à une majorité d’entre nous de vivre provisoirement juste un peu moins bien grâce à l’élimination d’une minorité au chômage dont on néglige la capacité énergétique. Cette minorité croissant inexorablement en dépit des chiffres volontairement truqués, nous accusons les entreprises de cette montée, tout en les caressant dans le sens du poil. Nous reprenons discrètement à notre charge leurs dettes quand elles s’écroulent et faisons perdre un quart de leur vie à nos enfants pour que les entreprises les trouvent désirables. C’est totalement incohérent. On ne cherche plus à rendre les citoyens utiles dans la coopération mais à faire en sorte que les autres peuples meurent avant nous par la compétitivité des entreprises. C’est l’activité première de ce qui nous sert provisoirement d’élite.

Comme cette élite tient tous les leviers de la communication et qu’elle est totalement incapable d’affronter la réalité difficile de la non-création de richesse, sa deuxième activité est de se faire croire et de nous faire croire que nous créons des richesses. Elle le fait en dépensant publiquement beaucoup d’argent, d’abord pour elle et ensuite pour toutes les minorités sous la bannière généreuse des droits de l’homme récupérés aussi bien à Paris en 1789 qu’à New York en 1948 où on les a décrétés universels. Pour en faire une vraie religion, il fallait qu’ils soient aussi éternels et on les a donc fait remonter jusqu’au cylindre de Cyrus le grand, au berceau de notre civilisation que nous avons par la force imposée à toute l’humanité.

C’est avec beaucoup de sérieux que, nous croyant riches et bons, donc généreux, nous avons en tous domaines renversé nos valeurs et abandonné le bon sens pour mettre au pinacle tous ceux qui souffraient de leur différence. Nous avons contre toute évidence nié systématiquement ces différences en creusant un fossé profond entre ce qui était vrai et ce qui était bien. Chacun voit ce qui est vrai mais n’a plus le droit de le dire car ce n’est pas bien. Mais ceux qui prêchent le faux ont droit à tous les haut-parleurs. Le libertarisme était né et nous en vivons les ravages.

En jouant à avoir du mal à nous partager un gâteau qui n’existe pas, nous nous entre-déchirons pour récupérer des miettes les uns sur les autres. Les individus, les entreprises et l’État exécutent ensemble un ballet malsain où seule la montée de la dette calme provisoirement l’agressivité et la dissimulation.

Nous vivons une course contre la montre entre la révolution des esprits et la révolution sanglante, course qui n’est alimentée que par la partie de la population encore réellement utile qui fond comme neige au soleil.

 

Le boomerang

Richard Nixon a été obligé de reconnaître en 1971 que les accords de Bretton Woods étaient inapplicables et que les monnaies liées au dollar, lui-même lié à l’or, ne faisaient que faire fondre l’or de Fort Knox en l’absence de source énergétique de la monnaie.

Depuis, sans rien résoudre ni même poser correctement le problème, nous avons inventé une usine à gaz où les banques, centrales et commerciales ne font que reporter le problème en mettant à disposition de l’argent qu’elles créent et en mettant le même montant en créance à recouvrer sur les bénéficiaires des richesses futures que cet argent « investi » aura prétendument créées. Les banques centrales détiennent des créances sur les peuples dont on ne parle jamais et les banques commerciales sur des entités dénommées qui remboursent quand elles le peuvent.

Pendant que les banques sont au plus mal et attendent l’hallali, les peuples que l’on a formatés pendant un tiers de leur vie dans les écoles et les universités à croire à la réalité des richesses créées, l’ont cru et mettent des gilets jaunes pour dire qu’ils veulent leur part de la richesse créée.

Les cornichons qui ont tellement bien vendu l’idée de création de richesses au point qu’ils y croient eux-mêmes, n’ont fait que réinventer pour la énième fois le boomerang car avec quoi vont-ils partager une richesse qui n’existe pas, qui n’est qu’un regard créé à grand frais par la publicité, ventilé à grand frais sur toute la Terre par les médias et rendu crédible par une toute petite minorité qui se pavane en dépensant publiquement sa fausse monnaie ?

Bon courage !

Pourquoi les banques vont-elles mal ?

La caricature habituelle du banquier avec son gros cigare, son haut-de-forme et les poches de sa redingote bourrées d’argent est en complète contradiction avec les annonces de plus en plus fréquentes de faillites de banques et de sauvetages indispensables des autres.

Il ne s’agit que de la contradiction entre le rêve et la réalité et les banques sont au milieu de ce qui devient un cauchemar. Le rêve c’est la création de richesses, l’investissement qui va créer ces richesses, et la réalité c’est qu’une richesse ne se reconnait que par l’échange avec une autre richesse précédemment reconnue et que, contrairement à une production, elle ne se crée pas.

Les banques créent la monnaie mais sont bien conscientes que la richesse ne se crée pas et elles ne mettent à disposition de la monnaie qui est une richesse reconnue, que par la création simultanée d’une créance et d’une dette. C’est la double écriture au même nom à leur actif comme à leur passif. A leur passif elle mettent une somme à la disposition de M. et Mme Tartempion ou de la société Trucmuche, et à leur actif elles inscrivent une créance du même montant sur les mêmes personnes. Les bénéficiaires utilisent généralement tout de suite l’argent mis à leur disposition mais pensent ne rembourser que petit à petit cet emprunt qu’on leur a souvent présenté comme un « investissement » qui allait générer de quoi rembourser par la sacro-sainte création de richesses.

Certes les banques dites d’affaires échappent à cela car elles ne vivent que de commissions payées par les grandes entreprises qui, elles, baignent à mille pour cent dans ce jeu si charmant de la création de richesses. Les grandes entreprises payent des fortunes aux banques d’affaires pour que leurs dirigeants puissent continuer à rêver, les dites banques payant des millions d’euros aux amis de ces dirigeants qui organisent en interne ces transactions avant de se mettre en marche vers le pouvoir.

Les banques commerciales, elles, sont coincées car elles vendent elles-mêmes à leurs clients la notion d’investissement qui ne soit pas un enterrement tout en sachant qu’il n’y a pas de création de richesse mais un échange. C’est pourquoi elles demandent en garantie, des richesses préalablement reconnues comme une hypothèque immobilière ou une caution de quelqu’un de solvable. Les banques cherchent à juste titre à sécuriser leur avoir sur des richesses déjà existantes plutôt que sur d’hypothétiques richesses futures qui sont pourtant généralement la raison du prêt.

Les banques centrales font exactement la même chose car en créant la monnaie qu’elles distribuent, elles créent en même temps une créance de même montant qu’elles mettent à leur actif sans être du tout certaines de les encaisser plus tard.

C’est tout le drame des banques. Elles ont déjà distribué de l’argent inexistant qu’elles ont créé par l’inscription de créances à leur actif, créances qu’elles ont de plus en plus de mal à recouvrer puisque fondées sur le rêve de l’investissement qui crée des richesses. En langage bancaire ce sont des NPL, des non performing loans qui font chuter à la pelle les banques ibériques et italiennes et qui feront chuter  les banques allemandes qui accumulent des créances en euros italiens, espagnols ou portugais sur ces banques malades, leurs clients transférant en euros allemands tous leurs euros du sud de l’Europe. Encore faut-il savoir que l’euro est une monnaie commune mais pas une monnaie unique, que les euros de chaque pays ne sont des créances que sur la banque centrale de ce pays et que tous les gestionnaires veulent n’être créanciers que de la Bundesbank. Savoir aussi que L’Union européenne impose d’autoriser sans limitation les échanges de tous les euros les uns avec les autres.

Personne n’ose reconnaître que la création de richesses est un mythe biblique ou évangélique et chacun ne fait que repousser l’échéance pour ne pas être aux commandes le jour du déluge. Les techniques de repoussage sont de plus en plus sophistiquées et rendent toutes, le problème encore plus compliqué.

Pour beaucoup, ce n’est pas si grave, les peuples paieront de leur sang !

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