Tout s’inverse

C’est très naturellement le 1er mai, fête du travail, seule fête dont on exclut curieusement celui que l’on fête, que nous sommes portés à réfléchir au pourquoi tout s’inverse depuis un demi-siècle. Deux chocs apparemment distincts, quasi simultanés et malheureusement complémentaires, tous deux conséquences lentement mûries du conflit mondial, font vaciller notre civilisation : le choc sociétal de mai 1968, héritier du chewing-gum, du jean, du jazz et de la Libération, et le choc économique d’août 1971 décidé par Nixon devant le fiasco des accords de Bretton Woods de 1944.

Dans son livre The case against education (Procès de l’éducation) l’économiste américain Bryan Caplan, professeur à la GMU, l’université de Virginie « où l’innovation est une tradition », souligne que la réussite, tant scolaire qu’universitaire et professionnelle, ne dépend que du cumul de trois qualités: être intelligent, consciencieux et conformiste (intelligence, work ethic et conformity).

Cette formulation particulièrement intéressante souligne la nécessité d’être à l’aise dans un groupe pour y réussir. Caplan remarque qu’être intelligent et travailleur ne suffit pas et qu’il faut aussi être conforme à ce que le groupe attend de chacun. Mais depuis la deuxième guerre mondiale et ses bouleversements idéologiques, la société occidentale ne renonce-t-elle pas à confronter son intelligence et sa conscience à la réalité ? Ne cherche-t-elle pas à transformer la réalité pour qu’elle soit conforme à ce que la théorie du moment voudrait qu’elle soit. Pour être conforme à ce que la société attend de nous, ne devrions-nous pas renoncer à comprendre et nous contenter comme tout le monde de commenter en étant perplexe ?

L’expérience peut bien montrer toute l’inanité des théories à la mode, la classe politico-médiatique va monter au créneau pour expliquer consciencieusement, et avec une vraie habileté des mots, qu’il faut garder la même ligne, y rester non seulement conforme mais s’en rapprocher toujours davantage.

La difficulté est que l’intelligence s’oppose bien vite au conformisme. Y être consciencieux devient un écartèlement permanent qui engendre le burn-out quand on ne s’évade pas façon Michel Onfray qui a décidé que notre civilisation était foutue « Le bateau coule, mourez debout ! » ou quand on ne fait pas de la fuite en avant façon Jacques Attali.

Le cas Attali est intéressant car il est impossible de l’éviter quel que soit le média. Impossible de ne pas entendre sa sempiternelle analyse fondée sur les trois pieds présentés comme solides de la démocratie, du marché et de l’initiative personnelle. Sauf que…la démocratie nous dit que l’homme est tout et que rien n’est plus important que de l’écouter individuellement par le vote. Le marché en revanche nous dit que l’homme indifférencié n’est rien, qu’il est passé en deux siècles de 1 à 6 milliards, et que seule la rareté fait la valeur. En y rajoutant l’initiative personnelle nous obtenons la profondeur de la pensée de Jacques Attali « Débrouille-toi entre moins l’infini et plus l’infini ». Voilà le plus bel exemple du penseur actuel intelligent, consciencieux et conformiste, produit réussi et reconnu de notre système éducatif dévoyé, bâton de vieillesse de tous nos dirigeants, y compris des plus jeunes, et rideau de fumée fortuné masquant la réalité.

Dans toutes les civilisations, être intelligent, consciencieux et conformiste forment un tout que l’on peut aussi exprimer par la réussite combinée de la réflexion, de l’action et de l’échange. Le formuler permet de prendre conscience de la cohérence indispensable entre les trois. Être intelligent c’est comprendre, comprendre c’est étymologiquement prendre ensemble et c’est donc à la fois réfléchir et agir en cohérence tant avec soi-même qu’avec le groupe. Mais quand cette harmonie n’est plus que dogmatique et se heurte à la réalité, quand, au lieu de se remettre en question, on remet en question la réalité, c’est l’harmonie qui part en morceaux. Le bien ne se différencie plus du mal, pas plus le beau du laid que le vrai du faux. En revanche, comme il faut bien paraître et faire impression, les dogmes fleurissent de toutes parts et la société de l’apparence se farde de mensonges déguisés en vérités, de laideurs présentés comme des beautés, et de vices qui deviennent des vertus, tout cela sous forme de directives, de lois et de références médiatiques. Tout s’inverse dans la société de l’apparence et résister à l’inversion devient délictueux. La liberté d’expression n’y est plus qu’un mythe vénéré, un mensonge vertueux.

L’intelligence, la conscience et le conformisme n’étant plus liés, des groupes disparates se forment suivant ce qui est abandonné en premier, sachant que chaque groupe se subdivise ensuite suivant ce qui est largué en second. Comme tout s’inverse, c’est ce que chaque groupe abandonne en premier qui lui sert curieusement d’étendard dans lequel il se drape.

Honneur à nos dirigeants (tout est inversé !) qui ont abandonné la conscience pour nous faire des cours de morale. La classe politico-économico-médiatique est intelligente, elle est conformiste en n’accueillant que ceux qui sont conformes à sa doxa, mais elle se moque éperdument des peuples en ne s’intéressant vraiment qu’à elle-même. Etant parfaitement consciente que tout empire chaque jour, elle se sépare entre ceux qui abandonnent le vivre ensemble et ne pensent qu’à partir n’importe où, mais ailleurs (très à la mode chez les étudiants formatés et chez les politiques qui achètent à l’étranger), et ceux qui abandonnent l’intelligence pour se réfugier dans des formes communes irréalistes comme l’Union européenne ou le mondialisme de « la » planète.

Il y a ensuite les peuples qui ne cherchent pas à comprendre tout en croyant tout comprendre dans ce qu’il est convenu d’appeler les discussions du café du commerce. Ils se réfugient dans leurs communautés quotidiennes, sont consciencieux dans leur activité et sentent bien qu’il faudra un jour affronter les problèmes. Ils se séparent entre ceux qui restent consciencieux par principe et vont voter en sachant que cela ne sert à rien et que l’on traite de populistes, et ceux qui s’abstiennent de voter par réalisme et se réfugient dans les communautarismes.

Il y a enfin un certain nombre de personnes qui essaient de comprendre en conscience ce qui se passe et qui rêvent d’un espace cohérent qui marierait intelligence, conscience et vivre ensemble. Ce troisième groupe qui est perpétuellement tenté d’abandonner l’action que sa conscience lui impose ou d’abandonner la réflexion qui ne semble pas faire bouger grand-chose, ne fait rien pour se regrouper et ronge son frein.

Pendant que ces trois groupes s’agitent ou s’endorment dans une inefficacité qui nous rassemble tous, tout s’inverse en tous domaines avec une classe dirigeante très bien rémunérée qui nous explique et nous impose, que le laid est beau, que le faux est vrai et que le vice est vertu, bref que notre civilisation est morte. Le système remplace dorénavant la civilisation. Comme tout s’inverse nous l’imposons bien sûr, et pour son bien, à toute l’humanité sur « la » planète puisqu’il n’y en a évidemment qu’une dans tout l’univers. La Terre était pourtant un très joli nom avant qu’il ne soit confisqué par des gens qui veulent tout planifier en absence de vision.

L’inversion générale se fait par le cumul d’une absence de but, d’un moteur qui tourne à l’envers et d’un laisser-aller généralisé qui a les réponses à tout et n’attend que les « moyens ».

Complètement perdus, nous ne savons qu’hésiter et nous entre-déchirer entre réformes, révoltes et révolutions pour surtout ne rien faire et rester dans l’apparence.

Pour le système il n’est plus nécessaire de donner un sens à sa vie, il suffit de profiter de la vie, ce qui fait vivre dans l’immédiateté et n’envisager le futur que sous l’angle de la jouissance des biens matériels, c’est-à-dire de la peur du lendemain. Cette jouissance ne vise que le plaisir, rend le bonheur chimérique et nourrit l’angoisse tout en tentant de l’anesthésier. La spiritualité collective se ringardise ou s’impose dans le cas de l’islam, ce qui le rend sécurisant pour beaucoup.

Côté moteur toutes les civilisations savent que c’est la coopération, le travailler ensemble, qui fait vivre les peuples et qui est une culture de vie. Nous l’avons oublié en prônant la compétition, culture de mort dont le seul but est de faire mourir les autres avant soi. Bien savoir faire mourir les autres avant soi, c’est être reconnu et admiré comme compétitif. Mais un peuple qui n’utilise pas l’énergie de ses membres et qui invente la notion de chômage pour masquer son incapacité et ne pas s’en sentir responsable, est d’une rare inconscience. S’il refuse d’en prendre conscience c’est qu’il ne se sent plus du tout un peuple. Si Poutine et Orban sont les seuls dirigeants européens à améliorer leur score électoral et à ne pas alimenter le dégagisme, c’est qu’ils ont compris que leurs peuples voulaient être des peuples sans être traité dédaigneusement de populistes par tous les incompétents. Nous ne sommes pas encore sortis des remous de la deuxième guerre mondiale et collaboration n’a pas encore repris son vrai sens de travailler ensemble, comme les trois beaux mots de travail, de famille et de patrie continuent, dès qu’on les rassemble, à être honnis au lieu d’être vénérés comme essentiels.

Mais l’incohérence d’une vie dont le seul but est d’être compétitif pour le plaisir des puissants, ne serait pas possible sans l’invention diaboliquement géniale de la création permanente de richesses qui permet tous les laxismes.

Le système est incroyablement simple. On fabrique de la monnaie à flot continu et on explique en inversant les facteurs que dépenser permet de créer de la richesse. Le XXe siècle a donné pour cela un nouveau sens au verbe « investir » qui veut renvoyer Aristote à ses études puisqu’il avait « vainement cherché sur une pièce de monnaie ses organes reproducteurs ». Le système veut nous faire croire qu’il a trouvé comment se faire reproduire la monnaie alors que nous la fabriquons tout simplement.

Pour la fabrication tout le monde s’y met, des banques centrales aux particuliers. Les banques centrales rachètent des créances mais comme on est dans l’inversion on dit qu’elles rachètent des dettes (le fameux quantitative easing), les états et les collectivités ont des budgets déficitaires (Maastricht l’officialise avec la limite imbécile et non respectée à 3% du PIB, serinée par les médias comme 3% tout court, alors qu’il ne s’agit que de limiter l’augmentation de nos dépenses à 3% par an sans se soucier de savoir comment payer). Les entreprises accordent des délais de paiement, les particuliers utilisent leurs cartes de crédit pour jouir tout de suite et payer plus tard. Et surtout les banques créent des torrents d’argent par la double écriture (mise à disposition au passif et récupération éventuelle à l’actif, récupération rachetable par la banque centrale). Prêter contre rémunération de l’argent que l’on crée soi-même permet aux banques de se croire très à l’aise. Comme on peut le lire dans Les Echos « BNP Paribas, Société Générale et Natixis comptent une centaine de banquiers s’étant vu attribuer une rémunération supérieure à un million d’euros au titre de 2017 en France ».

Cette folie généralisée, cette création de monnaie qui s’appelait encore inflation il y a 50 ans à la mort du chanoine Kir, député-maire de Dijon, n’a plus de nom aujourd’hui pour ne pas être remarquée. On a inversé le sens du mot inflation pour faire disparaître son vrai sens. Alors qu’il était l’inflation de l’argent, de la monnaie qui enflait, il est devenu aujourd’hui la hausse des prix qui n’est pourtant que la conséquence naturelle de la véritable inflation, celle de la monnaie. Pour faire oublier la cause, on ne montre que la conséquence. Il ne faut plus dire « J’ai mal à la tête », il faut dire « J’ai de l’aspirine ». C’est plus discret et moins dérangeant.

Pour faire croire que cette folie était intelligente dans ce monde où tout s’inverse, on a réussi à mettre dans les esprits que créer sans limite de la monnaie est une création de richesses puisque l’on mesure maintenant la richesse par notre capacité à dépenser. L’INSEE nous apprend même que le PIB, somme de toutes nos dépenses, publiques et privées, intelligentes ou stupides, est notre Produit Intérieur Brut, une prétendue ressource dont nous pourrions grignoter des pourcentages pour tout résoudre. Les médias  en font la mesure d’une création annuelle de richesses et on en fait même une référence. C’est l’ordonnée que personne ne regarde, des courbes qui sont censées nous convaincre. L’Union européenne, dans son immense intelligence coutumière, nous rappelle même que les dépenses criminelles comme la prostitution ou l’achat de stupéfiants doivent être comptabilisées dans le PIB créateur de richesses. Quand le PIB ralentit de 0,3 % au 1er trimestre 2018, Les Echos explique que cette « perte de dynamisme tient à la vigueur moindre des investissements ». On ne dépense pas assez.

De bons esprits viennent expliquer que si quelqu’un dépense, quelqu’un d’autre encaisse, et que les entreprises fabriquent de la valeur ajoutée, cette richesse que nous nous partageons. Quelle erreur ! Si les entreprises encaissent en effet plus qu’elles ne payent, elles ne font que répartir l’argent de leurs clients plus ou moins arbitrairement entre leurs fournisseurs, leurs salariés, leurs actionnaires et la collectivité sous forme de charges, de taxes et d’impôts. Il suffit donc de distribuer de l’argent aux clients pour faire croire que les productions des entreprises sont des richesses. On y vient avec les augmentations de salaires, les emprunts et demain, le revenu universel et la monnaie hélicoptère que Mario Draghi, patron de la Banque Centrale Européenne, trouve « intéressante ». Cela s’appelle la société de consommation qui n’est qu’une société de l’apparence.

La réalité est que la monnaie n’est comme l’électricité qu’un véhicule d’énergie et qu’à force de se croire intelligents nous avons oublié que la source de la monnaie est l’énergie humaine. Nous avons déconnecté notre énergie de la monnaie, transformant nos monnaies en fausses monnaies.

D’un côté notre énergie, peu utilisée pour l’effort, s’évacue maintenant par le sport qui a oublié son étymologie de desport ou déport, simple amusement en français du siècle des Lumières. Et de l’autre nous utilisons de la fausse monnaie pour acheter ce que nous ne fabriquons plus. Nous achetons même avec de la fausse monnaie notre dépense personnelle d’énergie au travers des sports d’hiver et des salles de sport quand nous ne la sous-traitons pas par le sponsoring. La dette s’accumule car il faudra bien qu’une véritable énergie vienne prendre la place de cette fausse énergie.

Pour qu’acheter soit possible, pour que le privé augmente les salaires et que le public subventionne, embauche et dépense, tout le monde emprunte. On a inventé la monnaie-dette en ne cherchant surtout pas à savoir à qui on devrait rembourser puisque la monnaie est créée à partir d’une simple volonté politique. Il suffit de se dire que nous allons créer des richesses pour rembourser, et donc dépenser encore davantage en créant toujours plus de monnaie-dette. Fin 2017 la dette mondiale était de 237.000 milliards de dollars (192.000 milliards d’euros, 32.000 € par habitant de la Terre, du bébé au vieillard grabataire). Rien que la dette publique française augmente de 100.000 € toutes les 43 secondes et les dettes privées sont beaucoup plus importantes que les dettes publiques.

L’addition du dogme du PIB «dépenser pour se croire riche» et de la facilité du «dépenser puisqu’on est riche» fait que tout est centré sur la recherche d’argent. Le désir d’argent avec un minimum d’effort devient le premier moteur totalement malsain de la vie qui fonctionne à plein pour les puissants. Il ne faut parait-il que des « moyens » et nous les avons. Le peuple lui, doit restreindre chaque année davantage son niveau de vie avec la douce musique sédative qu’on va le lui augmenter.

Se passe alors ce que nous constatons tous les jours, une fracture entre le peuple qui n’a pas accès à l’emprunt et la classe dirigeante qui y a accès. L’inconscient collectif sait que le système financier va exploser et que la monnaie ne vaut objectivement rien. Il sait que le jour de l’explosion, ceux qui auront de l’argent ou une rente perdront tout, les retraités pour survivre, devront vendre leurs biens dans un marché qui s’effondrera par manque d’acheteurs. En même temps ceux qui posséderont les biens en s’étant endettés, ne perdront que leurs dettes.

Cette fracture est tellement traumatisante que nous avons du mal à l’analyser calmement. Soit nous la nions façon « cela a toujours été comme ça », soit nous en profitons en nous endettant au maximum sans savoir si nous pourrons comme les puissants nous ré-endetter pour rembourser, soit nous vivons au jour le jour dans un déni de société, en attente des événements.

Dans tous les cas le mal-être s’installe car le système veut nous faire croire qu’il n’y a qu’une civilisation, la sienne, et qu’il faut être individuellement responsable des problèmes planétaires.

Même le pape s’y soumet. Il a fait publier le 21 août 2017 un texte sur les migrants précisant que leur « sécurité personnelle » passe « avant la sécurité nationale».

« Tout immigré qui frappe à notre porte est une occasion de rencontre avec Jésus-Christ, qui s’identifie à l’étranger de toute époque accueilli ou rejeté…. Notre réponse commune pourrait s’articuler autour de quatre verbes fondés sur les principes de la doctrine de l’Église : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer».

Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer sont, comme rejeter, des verbes actifs qui présupposent l’existence d’un sujet qui les anime. En ne privilégiant pas la sécurité nationale, le pape François choisit comme sujet de ces verbes l’individu ou la globalité de la catholicité (universalité en grec). Il se range délibérément ou inconsciemment dans le camp des puissants qui ne pensent qu’initiative personnelle et mondialisme. Il dédaigne les nations intermédiaires, sans renoncer pour autant à ses propres intermédiaires, les diocèses, même si les paroisses se regroupent par manque de prêtres. Il se range dans une sous-catégorie particulière qui vit à la fois dans le rêve de l’universalité tout en étant dans un ailleurs mental impossible où cette universalité se ferait naturellement et en douceur. L’islam ne fait pas cette erreur.

Nous verrons dans un prochain billet comment l’oubli de l’origine humaine de la monnaie détruit les perspectives, tente de réduire le travail à une fête dont nous l’excluons, et rend l’effort quotidien sans attrait et déconnecté de la vie. Nous ferons le lien avec notre enfermement dans l’immédiateté, dans la facilité du moment et dans l’inversion des valeurs. Nous verrons comment la machine la plus extraordinairement performante et la moins coûteuse, en fabrication comme en entretien et en remise en état, la machine fabuleuse qu’est l’être humain, s’est laissée banaliser et indifférencier par des idéologies décadentes. Nous verrons comment l’incompréhension de la monnaie et la peur de la mort nous en a fait préférer la longévité très coûteuse au renouvellement bon marché et nous a fait croire, en inversant tout, aux vertus magiques et très provisoires du « gratuit », de la recherche médicale, de l’innovation et de l’intelligence artificielle. La classe politico-médiatique se nourrit de ces chimères qui n’existent pourtant que par la fausse monnaie.

Mais puisque nous somme le 1er mai, gloire au travail ! Notre civilisation n’est pas du tout morte, elle est simplement malade de nos peurs.

La responsabilité écrasante des élites

Le chômage baisse, la croissance revient, nous voyons le bout du tunnel. Ces mensonges éhontés, étayés par des chiffres fabriqués, relayés par des médias leur appartenant, ne sont là que pour convaincre le bon peuple que les élites travaillent pour son bien.

Dans la réalité, quand elles sont dans l’opposition, elles pointent tout ce qui va mal tout en n’en faisant que des fausses analyses. Quand elles sont au pouvoir, elles s’agitent et se montrent, en expliquant qu’il leur faut du temps et en appliquant à la lettre par un usage immodéré des sondages la phrase du maréchal de Saxe « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive ». Et quand elles sont dans ce que l’on appelle la société civile, par acceptation inconsciente de l’application par les politiques entre eux de l’ordre militaire « Je ne veux voir qu’une tête », nos élites ne pensent qu’à leurs petites personnes en se moquant éperdument de l’intérêt collectif.

Depuis deux siècles, à partir d’un siècle des Lumières dévoyé et d’une révolution qui a permis à la bourgeoisie d’accaparer les biens de la noblesse et du clergé, certes acquis bizarrement, et pour cela, de prendre le pouvoir, nous détruisons systématiquement par étapes notre civilisation.

Le XIXe siècle a méprisé l’individu comme cela a parfaitement été montré par Zola et expliqué en 1891 par le pape Léon XIII dans son encyclique Rerum Novarum : « Les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d’une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue accroître encore le mal ». Faut-il rappeler que la concurrence et la compétitivité étaient déjà les ennemies de la coopération et que l’usure était le nom du prêt à intérêt avant de n’en devenir très curieusement que l’excès, la rendant par là-même acceptable ?

Le XXe siècle a tenté de tuer la spiritualité par ses trois matérialismes, fascisme, communisme et capitalisme dont le dernier, seul rescapé du siècle, fanfaronne en un pathétique chant du cygne qui inonde la Terre entière de son venin destructeur. L’homme occidental ne sait plus réagir à ce qui le dépasse si ce n’est par l’oubli dans la consommation suivant le vieux principe de l’ivrogne.

Le XXIe siècle est en train d’achever le travail en tuant systématiquement tous les groupes par une survalorisation grotesque de l’individu qui se prend pour un dieu au lieu de reconnaître qu’il n’est qu’un animal social qui n’existe pas sans le groupe. Ne sachant déjà plus réagir à ce qui le dépasse, ayant abandonné l’exclusion définitive des asociaux volontaires, l’homme occidental perd la solidarité comme la coopération, en oublie même de se reproduire et  se contente de geindre en attendant des élites la réalisation des promesses électoralistes aussi ridicules qu’intenables.

Tout cela ne tient provisoirement que par l’adoration béate et obscurantiste de trois veaux d’or et par trois esclavages qui font le travail évidemment indispensable. Les trois veaux d’or sont la croissance économique, la démocratie et la formation tout au long de la vie qui n’est qu’un essai raté d’avance, de formatage à l’impossible. Quant au trois esclavages, ils ratissent large pour permettre à l’homme occidental de se croire un dieu qui va profiter de la vie et non la réaliser. Le mondialisme ratisse l’espace, la dette ratisse le temps et l’immigration comble les derniers trous ici et maintenant.

 Si la guerre arrête en un instant l’adoration des veaux d’or comme le recours à l’esclavage, ne pourrions-nous pas, si nous nous intéressons réellement aux autres, faire appel à notre bon sens pour éviter à nos enfants les horreurs de la barbarie ? Ne faut-il pas commencer par comprendre que les esclavages ne cesseront que lorsque nous auront renversé simultanément les veaux d’or ?

Est-il impensable de faire prendre conscience que la création de richesses n’est qu’un mythe qui fausse tous nos raisonnements et qui est à la base de toutes nos erreurs ? Nos entreprises ne font que faire circuler l’argent en faisant alimenter le circuit par leurs clients. Nos banques ne font que fabriquer de l’argent pour nous faire croire que  nos entreprises créent des richesses et que ce ne sont pas les esclavages qui sont à la manœuvre. Tout cela, pour que nous trouvions nos élites intelligentes et efficaces et que nous les élisions puisqu’elles nous convainquent que nous n’avons jamais été aussi riches.

Est-il inaudible de dire que la démocratie n’a de sens que si les votants ont tous compris que risque et responsabilité sont les deux facettes d’une même réalité et qu’elle n’est envisageable qu’au travers du poids de la responsabilité qu’engendre le tirage au sort ou au travers de l’effort du permis de voter ? Sans ce poids ou sans cet effort, nous laissons le pouvoir à la veulerie aguichante de l’ « en même temps » macronien et de la superposition contradictoire attalienne de sa démocratie où l’homme est tout et du marché ou l’homme n’est rien.

Est-il impossible de retrouver ce que toutes les civilisations savent et que la nôtre a perdu ? L’éducation est avant tout fondée sur l’expérience, l’instruction étant réservée au petit nombre capable de la digérer, à son rythme et au rythme de la collectivité. Nous gaspillons en argent et en hommes une énergie considérable à tenter sans succès de faire croire qu’un formatage des êtres en fera des individus responsables. Alors que la nature nous indique que l’âge adulte commence à la puberté, nous créons, depuis que notre civilisation se décompose, le déséquilibre de l’adolescence en formatant, avec leur complicité exigée, des « adulescents » à vie, des adolescents dans des corps d’adultes dont on va simplement travailler l’affect par les médias pour qu’ils votent bien et surtout, qu’ils ne croient pas un instant qu’ils pourront renverser la table.

Nos élites ont quitté la vie collective pour n’être que dans la survie collective et dans leur vie personnelle. Pour ne pas affronter les problèmes, ils résolvent les contradictions en en créant de nouvelles encore plus complexes. Tous ne se battent que pour imposer l’espace qui leur convient et dans lequel ils pensent pouvoir plaire. Pour Macron c’est l’Europe, pour l’UPR c’est la France, pour les nationalistes corses, c’est la région. Pour tous les autres ce n’est pas clair et ça dépend des jours, mais aucun n’aborde le fond de ce qu’il faut faire dans l’espace qui leur plait. Et pour cause ! Ils n’y ont jamais réfléchi. Ils n’ont pas le temps et cela dérangerait tellement les habitudes que ce serait impensable, inaudible et  impossible. Pour eux, et surtout sans le dire, seule la guerre pourra être efficace.

Le peuple ressent tout cela et en dépit des rodomontades de ses élites, a peur de l’avenir. Les femmes ne font plus leurs trois enfants nécessaires, les hommes, ne sachant que faire, dépensent leur énergie en salle de sport en jogging ou en trail. Chacun alimente les « psy » qui n’ont rigoureusement rien à dire. L’immédiateté de la survie éclipse le bonheur de la vie et ne se supporte que par le matraquage de l’innovation qui va tout résoudre demain. Nous avons oublié que toute innovation a un coût et qu’elle est en même temps systématiquement un deuil suivant le principe de la destruction créatrice chère à Schumpeter. Pourtant si nous parlons beaucoup du travail de deuil, nous ne parlons jamais du travail d’innovation ni de l’origine de l’argent qui  la finance.

Quand la France et l’Occident auront-ils droit à un parti politique qui abordera les problèmes de fond  et proposera l’impensable, l’inaudible et l’impossible ? Souvenons-nous de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible. Alors ils l’ont fait ». Napoléon disait déjà, parait-il, qu’impossible n’était pas français. Par qui, d’où, quand et comment jaillira le renouveau ?