Les mots de république et de démocratie sont aujourd’hui les « Sésame ouvre-toi » de la vie publique.
La définition de la démocratie par Abraham Lincoln, reprise comme principe par les constitutions de la République Française de 1946 et de 1958, « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple », est belle, elle sonne bien mais que recouvre-t-elle ?
La démocratie était à Athènes le vote sur une colline des citoyens regroupés en ecclésia. Les affaires de la cité étaient décidées à la majorité des gens intéressés s’ils étaient des hommes, s’ils étaient libres, s’ils n’étaient pas étrangers à Athènes et s’ils possédaient du blé, du vin ou de l’huile. Sur environ 250.000 Athéniens, il n’y avait guère que 40.000 citoyens dont à peine 6.000 se retrouvaient sur la colline de la Pnyx.
Le mot démocratie, disparaît pendant 20 siècles et réapparaît en 1576 quand Jean Bodin, qui disait avec un immense discernement qu’ « il n’y a de richesse que d’hommes », publie « Les six livres de la République ». Il la définit comme « un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine ». Il voit trois formes de Républiques : la Monarchie où la souveraineté est à un seul prince, la Démocratie dans lequel tout le peuple a part à la souveraineté et l’Aristocratie si « une moindre partie du peuple » y a accès. Bodin ramène toutes les autres formes de républiques à ces trois là. Il prend la république dans son sens latin littéral de res publica, de chose publique, mais qui comprendra aujourd’hui que l’on présente l’aristocratie, la démocratie et la monarchie comme trois formes de république ? C’est pourtant une évidence même si elle est soigneusement cachée.
Le mot démocratie resurgit des deux côtés de l’Atlantique à la fin du XVIIIème siècle, chez des extrémistes violemment combattus par les Républicains américains et les Révolutionnaires français au pouvoir. Que ce soit les Présidents américains ou les Révolutionnaires français, Robespierre ou Sieyès, aucun n’a de mots assez durs pour qualifier la démocratie. Mais un journal de Boston explique en 1850 que « le peuple aime tellement le mot démocratie qu’un parti qui ne l’utiliserait pas n’aurait aucune chance d’être élu ». En France la révolution de 1848 impose aussi le mot qui rentre dans le camp du bien avec une absence de précision qui arrangera tout le monde. Il rejoint sur l’Olympe le mot moderne qui a déjà oublié qu’il ne veut dire qu’« à la mode ».
Aujourd’hui la république est présentée vêtue des valeurs républicaines qui seraient la liberté l’égalité et la fraternité. Ces trois mots ont été petit à petit renforcés par la Déclaration des droits de l’Homme, par la laïcité et par le principe un homme une voix. Mais qui explique que la liberté n’est pas l’individualisme, que l’égalité n’est pas l’identité et que la fraternité n’a rien à voir avec la solidarité ? Qui démontre que la monarchie et l’aristocratie ne seraient plus des formes de République ? Sûrement pas De Gaulle qui disait lors de sa 10ème conférence de presse le 31 janvier 1964 : « Il est vrai que l’autorité indivisible de l’Etat est déléguée toute entière au président par le peuple qui l’a élu, et qu’il n’y en a aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui. ». Sommes nous dans la république de tous, dans la république de certains ou dans la république d’un seul ?
Sur le consensuel flou actuel peut-on construire autre chose qu’une campagne électorale ? Cet ectoplasme non défini pourrait-il vraiment être le roc sur lequel construire durablement ?
Historiquement la démocratie est née à Athènes et la République à Rome. Mais le mot grec et le mot latin ont été récupérés par le XXème siècle pour tisser ensemble une toile de mots, piège à électeurs, fondée sur la séduction et la peur.
Une des trois formes de république vues par Jean Bodin est pourtant particulièrement intéressante, c’est celle qu’il appelle l’Etat populaire et la Démocratie. Elle n’a jamais été véritablement inventée et est à la fois une utopie géniale et un outil méprisable que la classe politique utilise pour tromper le peuple.
Il serait fantastique d’inventer la démocratie, une vraie représentation du peuple qui prendrait les décisions. Mais il n’y a malheureusement que deux axes de réflexion possibles pour avancer vers ce rêve : le tirage au sort et le permis de voter. Les deux donneraient vraiment le pouvoir au peuple. C’est pour cela qu’ils ne sont même pas étudiés.