La Banque Centrale Européenne a informé le 18 novembre 2021 qu’elle lancera en 2023 un euro numérique. La Chine aura d’ailleurs bien avant, lancé un yuan numérique, tout cela dans l’indifférence générale.
Pour bien comprendre les conséquences de ces décisions apparemment anodines, il faut d’abord prendre conscience de ce qu’est réellement la monnaie pour apprécier les nouvelles possibilités qu’ouvre la monnaie numérique.
On continue dans la plupart des universités à affirmer qu’au début était le troc, que la monnaie a été inventée pour faciliter les échanges, qu’elle a les trois utilités définies par Aristote (moyen d’échange, réserve de valeur et unité de compte) et qu’elle peut se définir au choix des économistes qui ne se sont jamais mis d’accord, comme une marchandise, un symbole ou une institution, sans jamais être plus précis. Or aucun ethnologue ou aucun archéologue n’a jamais trouvé trace d’une économie de troc. Ce qui existait avant la monnaie n’était pas le troc mais le donner-recevoir-rendre bien expliqué par le professeur au Collège de France Marcel Mauss et toujours en vigueur aujourd’hui dans chaque famille. Qui oserait voir du troc dans la vie familiale ? La monnaie a probablement été inventée parce que dans un groupe qui s’agrandit, il faut résoudre le problème de ceux qui prennent et reçoivent mais oublient de donner et de rendre. Dans cette hypothèse, la monnaie se définit très simplement comme un véhicule commode d’énergie humaine. Elle est une preuve reconnue par le groupe d’un travail passé utile et efficace. Ce fut le cas de plumes d’oiseaux rares ou de sel, c’est le cas de l’or et de l’argent et cela est resté le cas des papiers-monnaies du XVIIIe siècle au moins à leur création. Les billets de Law étaient fondés sur les richesses du Mississipi, le rouble papier de la Grande Catherine était gagée sur ses mines de cuivre, les assignats l’étaient sur les biens confisqués à la noblesse et au clergé et le dollar continental américain était lié à la livre anglaise elle-même liée à l’or. Si toutes ces monnaies ont disparu entraînant la ruine de leurs propriétaires, c’est qu’on en a imprimé très au-delà de ce que les richesses reconnues antérieurement garantissaient. Leur multiplication systématique par les pouvoirs en place a généré la nullité de leur valeur.
Ce qui s’est passé depuis la deuxième guerre mondiale est une première dans l’histoire de l’humanité. Pour pouvoir multiplier la quantité de monnaie en tentant de lui garder sa valeur, on a imaginé une usine à gaz incohérente mais présentable à tous ceux qui se croient mauvais en économie. On est passé progressivement d’une monnaie véhicule d’un travail humain déjà effectué et déjà reconnu comme utile, à une monnaie véhiculant un travail futur sans savoir par qui ce travail, rémunéré d’avance, sera fait gratuitement. Un travail gratuit, sans aucune contrepartie, s’appelle l’esclavage et appelle la violence pour savoir qui sera esclave et qui ne le sera pas.
Il est important de comprendre les différentes étapes qui ont généré cette modification de la source de la puissance de la monnaie, passant d’un travail humain utile et efficace à un travail humain à trouver, on verra plus tard par qui. Tout s’est fait progressivement et en douceur. Les peuples ne se sont rendus compte de rien comme la grenouille chauffée lentement dans sa casserole.
Tout est parti des accords de Bretton Woods de juillet 1944 qui ont lié les monnaies au dollar et le dollar à l’or, ce qui reliait bien au départ toutes les monnaies à un travail déjà effectué.
Mais, comme d’habitude, ceux qui avaient le pouvoir ont été incapables de respecter les limites qu’ils avaient eux-mêmes posées et, pour payer les guerres de Corée et du Vietnam comme la conquête de la lune, la FED américaine a imprimé 5 fois plus de dollars qu’elle n’avait d’or à Fort Knox. Cela a permis à certains dont le général De Gaulle puis Georges Pompidou, d’aller chercher de l’or outre-Atlantique en leur renvoyant leurs papiers-dollars. Le président Nixon, voyant le stock d’or américain fondre comme neige au soleil, a été contraint de déconnecter le dollar de l’or le 15 août 1971, déliant automatiquement de l’or, toutes les monnaies liées au dollar.
Les monnaies étant déconnectées du travail passé et reconnu que véhiculait l’or, elles se sont trouvées arbitrairement connectées sans jamais le dire, et même souvent sans le savoir, à un travail futur à effectuer sans compensation puisque la compensation, l’argent, avait été distribuée avant sa raison d’être, le travail. Un travail qui est un devoir sans récompense s’appelle l’esclavage. On a inventé dans le même temps, officiellement la monnaie-dette, et officieusement le retour de l’esclavage sans savoir le moins du monde qui seraient les esclaves. La question reste encore aujourd’hui sans réponse et se précise par la paupérisation des classes moyennes.
La monnaie liée à un esclavage futur à trouver, a été gravée dans le marbre par la création de l’euro lié officiellement à des monnaies européennes qui, toutes, n’étaient plus liées à rien depuis 1971. La « planche à billets » pouvait fonctionner sans discontinuer par la double écriture bancaire, toutes deux au nom de l’emprunteur agréé par la banque, une écriture pour mettre l’argent à disposition, l’autre pour dire qu’il était dû par l’emprunteur. La monnaie numérique était née avec la monnaie dette.
Pour rendre ce scandale acceptable et surtout ne pas officialiser le retour automatique de l’esclavage, on a inventé la création de richesse en oubliant consciencieusement que la richesse n’est qu’un regard.
La création de valeur est la base intellectuelle de toute l’économie actuelle, enseignée dans les universités, diffusée par les médias et appliquée par les Politiques. La dette mondiale est énorme (plus de 30.000 € par Terrien) mais avec la « création de valeur » nous sommes supposés l’absorber avec le temps. Les richesses que nous créons doivent nous permettre de nous enrichir et il faut simplement veiller au bon partage de ces nouvelles richesses. On chiffre même cette création totalement imaginaire par le PIB que l’on a l’audace d’appeler « produit » alors qu’il n’est que le constat chiffré d’un échange. Très peu de gens sont conscients que le PIB ne mesure qu’une activité de 3 façons différentes, en chiffrant ce qui a été dépensé, ce qui a été vendu et en additionnant les factures. Certains s’agrippent à la notion de valeur ajoutée par les entreprises sans réaliser que cette valeur ajoutée n’existe que par une valeur retranchée au portefeuille de leurs clients. La vie n’est qu’échange. A partir du PIB nous nous sommes fait plaisir en parlant de croissance, de développement, de pays riches.
On en est donc arrivé à ce que, l’argent coulant à flots, il permette de produire sans discontinuer, il permette de transformer toutes ces productions en richesses en les achetant, il permette de fabriquer des machines et des robots qui fabriquent sans l’homme, il permette de faire vivre les hommes et les distraire pour qu’ils ne réalisent pas ce qui leur arrive, il permette de tuer le temps en se payant des études sur tout et même des études sur les études et des commentaires sur les études. L’argent n’étant plus limité, tout devient apparemment possible : l’homme peut devenir un robot immortel, le garçon peut être fille et inversement, noir peut devenir blanc et inversement comme le bien et le mal qui ne se distinguent plus. L’argent peut tout et il existe maintenant sans limites pour tout privilégié reconnu par une banque.
Il restait pourtant une limite : l’argent numérique créé par les banques était nominatif, au nom de l’emprunteur et, comme il fallait rembourser, les emprunteurs limitaient leurs emprunts. La dernière trouvaille, et sans doute la plus abominable, a donc été de collectiviser l’emprunteur en créant une monnaie numérique anonyme. C’est ce qui est prévu. La Banque Centrale Européenne va créer une monnaie numérique qu’elle va pouvoir distribuer pour continuer à transformer toutes les productions en richesses et elle sera créancière des peuples pour sa contrepartie. La dette mondiale publique et privée est déjà de 226.000 milliards de dollars. Elle va pouvoir grâce à la monnaie numérique des banques centrales, monter jusqu’au ciel.
On a fait sauter deux bornes de bon sens fondamentales. La monnaie n’est plus le véhicule d’une énergie humaine passée bien utilisée et le rapport entre les monnaies n’est plus fondé sur le constat d’une balance commerciale que la valeur des monnaies équilibre. Le bon sens voudrait que l’euro allemand monte et que l’euro français baisse mais nos Politiques ont décidé de faire croire que c’était le même, alors que, dans la première série, le billet allemand porte la lettre X et le billet français la lettre U. Pour la deuxième série Mario Draghi a fait supprimer ces lettres et nous avons des euros allemands qui montent et des euros français qui baissent sans être maintenant différenciables.
L’économie s’emballe en préparant l’esclavage qui la financera.
Il faut pour cela relier la monnaie numérique à l’identité numérique actuellement testée partout dans le monde grâce à la covid. Les QR codes, comme leurs noms l’indiquent, permettent aux pouvoirs d’avoir une réponse instantanée sur tout ce que nous faisons. La Chine est le premier État à créer une monnaie numérique. En cumulant l’identité et la monnaie numériques, un pouvoir tient son peuple et le prive de son argent d’un simple clic informatique quelle que soit sa fortune. C’est l’importation discrète mais officielle en occident du crédit social chinois.
Comme l’écrivait François Ponsard en 1823 dans L’honneur et l’argent :
Quand la borne est franchie, il n’est plus de limite
Et la première faute aux fautes nous invite.
En cette année électorale, quel peuple veut l’entendre ? Quel politicien veut le dire ? Quel intellectuel accepte-t-il de se remettre en question ?